De nouveau, la quarantaine de «chibanis» du 73, rue du Faubourg-Saint-Antoine à Paris (lire Libération du 29 août) ont été prévenus de leur expulsion à la dernière minute.
Cette fois, c'est un arrêté de la préfecture de police placardé dans leur vieil hôtel meublé qui les a avertis de l'interdiction totale d'habiter le lieu, malgré la trêve hivernale. «Les quatre policiers qui sont venus l'afficher nous ont dit que nous serions virés début janvier», explique Mohamed Amrouni, l'un des plus vieux locataires.
Cafards. En juin, les anciens travailleurs migrants installés ici depuis dix, vingt ou quarante ans avaient appris qu'ils étaient expulsables depuis un an. La gérante, pourtant au courant, ne les avait avertis de la situation qu'à la dernière minute. «Anciens et sérieux locataires», selon cette dernière, tous sont en règle, et la plupart sont arrivés en France dans les années 60 pour travailler. Après plusieurs semaines de lutte, les retraités avaient obtenu un délai de la préfecture. Ian Brossat, l'adjoint (PCF) au logement de la ville de Paris, et François Vauglin, maire (PS) du XIe arrondissement, s'étaient engagés à ce qu'ils ne soient pas expulsés avant la fin de la trêve hivernale. Le temps pour la municipalité de trouver une solution de relogement définitive, au printemps 2015.
[ Portraits des chibanis du Faubourg Saint-Antoine ]
, par Jean-Michel Sicot
L'arrêté, qui fait état d'une interdiction totale d'habiter l'immeuble, s'appuie sur un constat du service d'inspection de la salubrité. L'absence de gardien «formé aux moyens de secours» et de «suivi sur le plan de la sécurité incendie» mettrait les habitants «gravement en danger». Ce qui explique la rapidité d'action de la préfecture. Côté locataires, l'argument fait franchement rire. Tous vivent depuis des années entre les cafards, dans l'humidité de leurs petites chambres, sans avoir jamais vu de rénovation quelconque. «Cet hôtel, ça fait quinze ans qu'il est pourri, s'indigne Layachi Ait-Baaziz, habitant du meublé. Aucun service d'inspection n'est venu nous voir les années précédentes. Et l'ancien gardien n'avait aucune formation de sécurité. Pourquoi se réveillent-ils maintenant ?»
Depuis le mois de septembre, la gérante de l'hôtel ne donne plus de nouvelles. Les vieux messieurs, qui ont créé leur association, cotisent tous les mois pour payer eux-mêmes les charges, l'eau et l'électricité. Fiers de leur boulot, ils ont aussi refait une partie de la plomberie. «C'est plus propre qu'avant», s'amuse Djamel. Depuis l'affichage de l'arrêté préfectoral, ils sont quatre à se relayer dans l'ancienne loge du gardien pour que quelqu'un surveille les lieux 24 heures sur 24.
«Hypocrisie». Jean-Baptiste Eyraud, du Droit au logement (DAL), aide les chibanis depuis le début de leurs mésaventures : «Il y a une certaine hypocrisie dans cette histoire. Légalement, la préfecture a le droit de les expulser, mais elle n'est pas obligée de le faire. Tout ça est fait de façon cavalière, et la préfecture ne tient pas compte des efforts que les habitants sont prêts à déployer.» Ian Brossat expliquait en septembre : «Ce sont des hommes qui ont produit des richesses en France. Le pays a une dette à leur égard.» Il déplore aujourd'hui la décision de la préfecture, en soulignant que «cette décision n'est pas du fait de la mairie». Et réaffirme la volonté de la municipalité de trouver une solution pour les vieux locataires. «Je considère qu'il est temps qu'ils aient accès à des logements pérennes.» Un immeuble servant de foyer à des cadres de la SNCF devrait être mis temporairement à disposition des habitants de l'hôtel, avant un relogement définitif.
Malgré tout, Jean-Baptiste Eyraud pointe l'absurdité de la situation : «Quel intérêt y a-t-il à déployer des CRS pour dégager des papys à cause d'une histoire de gardien non diplômé ? Il y a une voie douce qui pourrait être mise en œuvre. La préfecture choisit l'autre.»
La loge de l'ancien gardien est devenue le nouveau point de rendez-vous de la petite communauté autogérée. «Déboussolés», «trahis», les chibanis se posent maintenant une question : «Si nous devons partir dans deux semaines, qu'allons-nous faire des affaires que nous avons accumulées toutes ces années dans nos chambres ? Pourquoi nous faire bouger pour deux ou trois mois au lieu d'attendre une solution définitive ?» peste Layachi.