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Libération
Récit

A la poursuite de la barbarie

Prises d'otages à Paris et Dammartin-en-Goëledossier
Les deux suspects de l’attaque de «Charlie Hebdo» ont été pistés toute la journée de jeudi par les forces de l’ordre entre l’Oise et l’Aisne.
A Corcy, le GIPN fouille méthodiquement le village. Guillaume Binet.MYOP (Photo Guillaume Binet. MYOP)
publié le 8 janvier 2015 à 22h36

Après l'assaut à l'arme automatique contre Charlie Hebdo mercredi qui a fait douze morts et onze blessés, dont quatre encore hospitalisés, la France a vécu un jeudi de traque et d'affolement. Dès le petit matin, une jeune policière municipale a été tuée dans une fusillade qui a également fait un blessé grave à Montrouge (lire ci-contre), sans qu'on puisse rapprocher ces faits de l'attentat à Charlie. «Aucun élément ne permet, à ce stade, d'établir un lien entre ces deux événements, mais la succession de deux drames d'une extrême violence doit susciter, dans la dignité, une condamnation générale et appelle une réaction d'une extrême fermeté», a dit jeudi le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve.

«Formellement reconnu». A la mi-journée, les deux suspects de la tuerie à Charlie, Chérif Kouachi, 32 ans et son frère Saïd, 34 ans, deux Français «susceptibles d'être armés et dangereux» (lire pages 4-5), selon l'avis de recherche lancé mercredi, ont été repérés à une station-service sur la RN2 près de Villers-Cotterêts (Aisne), en rase campagne, à 80 kilomètres au nord-est de Paris, à bord d'une Clio grise, peut-être celle qu'ils avaient braquée la veille près de la porte de Pantin, à Paris. Le gérant du relais du Moulins, qu'ils ont volé, est affirmatif : ce sont bien eux, «cagoulés, avec kalachnikovs et lance-roquettes apparents». Saïd Kouachi, résidant à Reims et sans emploi, a aussi été «formellement reconnu sur photo comme agresseur», a affirmé Bernard Cazeneuve, sans que l'on sache s'il parlait du vol de la Clio ou de la tuerie de Charlie Hebdo. On a également retrouvé sa carte d'identité dans la Citroën C3 utilisée par les agresseurs à leur début de fuite, véhicule «volé en région parisienne et faussement immatriculée», selon le ministre de l'Intérieur.

En milieu d'après-midi jeudi, la chasse à l'homme se concentre dans une zone à cheval sur l'Aisne et l'Oise, où les suspects ont semble-t-il abandonné leur véhicule. Exceptionnellement déployés ensemble, Raid (police) et GIGN (gendarmerie) interviennent à Vauciennes, Crépy-en-Valois, et dans une ferme à Longpont. La zone à ratisser, dans une partie très forestière, couvre plusieurs centaines de kilomètres carrés. A Corcy, Maxime, 46 ans, qui habite le village, raconte : «J'ai eu droit à la fouille totale de ma maison. Ils étaient six et ils ont passé cinq à dix minutes : deux au sous-sol, deux dans la maison, deux dans le jardin. Ils ne parlent pas beaucoup. Apparemment, ils auraient retrouvé la voiture des deux suspects abandonnée dans le coin, et ils seraient désormais à pied.»

Hélicoptères. A Crépy, le cabinet du maire appelle à la prudence : «Des forces de sécurité sont dans notre ville mais cela ne veut pas dire que les individus recherchés soient là aussi.» Selon plusieurs employés de la plateforme Seveso, à l'entrée de Crépy, des hélicoptères survolent un temps le bois de Tillet, qui jouxte la ville. Les employés reçoivent l'ordre de rester à l'intérieur.

Le plan Vigipirate «alerte attentat» a été étendu à la Picardie. En France, 88 000 personnels de police et gendarmerie sont mobilisés, dont 9 650 en Ile-de-France. Les armées ont fourni 400 personnes. La surveillance dans les transports est renforcée, les commerces et grands magasins à Paris ont été briefés pour renforcer leur sécurité. «Je veux appeler les Français à rester unis et soudés contre la violence barbare des terroristes, a indiqué Bernard Cazeneuve. Nous saurons leur démonter par notre sang-froid que nous n'avons pas peur.»

Alors que la radio de l'organisation Etat islamique (EI), qui émet en Syrie et en Irak, qualifie de «héros jihadistes» les auteurs de l'attentat le plus meurtrier à Paris depuis la Seconde Guerre mondiale, un policier parisien de 51 ans, enquêteur à la PJ depuis dix-sept ans, affirme qu'il n'a «pas le souvenir d'une journée comme celle» de jeudi : «Pire que mercredi ! Malgré les filtres, on recevait une nouvelle piste chaque quinze minutes. Charlie, puis la fusillade de la porte de Châtillon [lire ci-contre], des collègues qui tombent : il fallait travailler avec une tension émotionnelle très forte.»

Tard mercredi soir, l’enquête s’était d’abord transportée vers Reims, où résidait Saïd Kouachi. Plusieurs interpellations ont eu lieu dans l’entourage des frères, et neuf personnes se trouvaient en garde à vue jeudi, selon le ministre de l’Intérieur, avec perquisitions à la clé, à Reims, Charleville-Mézières, Strasbourg, Pantin et Gennevilliers. 90 témoins avaient déjà été entendus jeudi. Mourad H., un lycéen de 18 ans, s’est, lui, spontanément rendu au commissariat de Charleville-Mézières (Ardennes) quand il a su que la police le recherchait avec les frères Kouachi. Il serait le beau-frère de Chérif Kouachi.

Islamophobie. Conséquence de l'attentat à Charlie, plusieurs attaques ont visé des mosquées. «Des actes de cette islamophobie qui s'exprime après le drame de mercredi», déplore le procureur du Mans. Dans la préfecture de la Sarthe, vers 0 h 30 mercredi soir, trois tirs «de petit calibre» ont atteint la mosquée du quartier des Sablons. Un tir «a perforé la vitre d'une salle de prières pour se ficher dans le mur opposé». Quatre grenades d'alerte (au plâtre) ont également été jetées par-dessus le mur, deux ont explosé.

Même genre d'«acte minable», selon le mot d'une source judiciaire, deux tirs de petit calibre effectués mercredi soir contre une salle de prière à Port-La-Nouvelle (Aude), a priori par «un homme seul, à pied». A Villefranche-sur-Saône (Rhône), un engin artisanal a explosé vers 6 heures, jeudi, devant un kebab, «à quelques mètres de l'entrée de la mosquée la Quarantaine», a expliqué le procureur.

A Poitiers, une inscription «Morts aux arabes» a été retrouvée sur une mosquée. L'auteur, interpellé en état d'ébriété, sera poursuivi.Selon le parquet, il «se confond en excuses, il parle d'un acte imbécile». A Mâcon, des inscriptions «Islam on va vous niquer - Charlie» ont été peintes. «Le gouvernement condamne [ces] violences. Nous ne tolérerons aucun acte, aucune menace visant un lieu de culte, pas plus que des manifestations hostiles contre les Français en raison de leur religion», a prévenu Bernard Cazeneuve.

Dans ce climat de tensions, l'écrivain Michel Houellebecq a annoncé, jeudi soir, la suspension de sa tournée de promotion pour la sortie de Soumission, son dernier roman polémique.