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Libération
TRIBUNE

Ce que tu lui as mis, bud

publié le 9 janvier 2015 à 19h46

Les jihadistes de Charb. Pas seulement ses jihadistes : ses rois des cons de tous bords. Ses empêcheurs de vivre de tous poils, de toutes langues, de toutes chapelles. La bobine qu’il leur dessinait. Comment il se foutait de leur gueule. Comment il la leur foutait de travers, la gueule, toute cabossée, toute jaune, passée à la lessiveuse, au grille-pain, à l’épluche-patates, au bouffe-cacahuète, au presse-boules, à la décerveleuse, à l’essoreuse de connerie intensive. Comment ils avaient l’air de sortir d’un gros passage au lavomatic à énormes cons, les mecs. Et fiers avec ça. Bombant le torse. La connerie dopée. Comment c’était bon. Comment on avait le sourire jusqu’aux oreilles rien qu’à contempler leur air jouasse. Avant même de savoir ce qu’ils allaient dire. Avant même d’avoir lu un mot dans la bulle.

Ton dernier jihadiste, Charb. Ce que tu lui as mis. Ce bonheur de bobine que tu lui as faite. Avec ses billes barrées en sucette, ses gencives de papi, ses joues molles, son air d’avoir bu dix calva.

C’est lui qui t’a eu, bud. C’est lui qui vous a dézingués, tes potes et toi. C’est lui qui nous fait tous orphelins depuis deux jours. Avec ce doigt levé de poivrot. Avec cette trogne pourtant bien soigneusement rincée comme se devait. C’était pas un mec qui rigolait. C’était pas un mec que ça faisait marrer, l’essoreuse gratis tous les mercredis. Il avait l’humour chatouilleux, la chapelle pas drôle. Un homme à la radio ce matin parlait de ça : du rire. Du fait que le rire ça grattait, ça agaçait, c’était terrible. Que ça se laissait pas attraper, qu’on pouvait pas y répondre, jamais savoir si c’était de la bidouille ou du bidon, et que pour ça c’était insupportable, ça les rendait fous les sérieux, les fachos, les fanatiques de l’ordre, les paniqués du brouillard, les allergiques au pas clair. Le rire ça flotte, disait l’homme à la radio, et il y en a qui supportent pas que ça flotte. Comment tu lui riais au nez, bud. Comment tu te foutais de sa gueule. Dix fois qu’il essayait de cramer ta cabane, et toi tu continuais. Il y a trois jours encore, tu t’appliquais à lui dessiner bien calmement, bien fidèlement, une tête de bonne patate bien sourde.

Tu m’as scié, Charb. Vous nous avez tous sciés, les amis. On se rendait plus compte à force. On mesurait plus, moi en tout cas je mesurais plus, ce que ça voulait dire chaque semaine de continuer à dessiner ça. Ce qu’il fallait de cran. Le courage et la force que vous aviez tous, depuis tant d’années, face à tant de menaces. Bonne nouvelle : ton roi des cons non plus il mesurait pas. Que l’essoreuse allait pas du tout s’arrêter. Que le tambour au contraire redoublerait. Que le tournis au crâne de tous les empêcheurs de vivre forcirait comme jamais. Que la peur à présent plus personne n’accepterait d’y céder. Qu’on te le devrait, maintenant. A toi. A vous tous, les amis.