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Libération

Les assauts de Dammartin et porte de Vincennes, une action de police inédite

10 ans après l'attentat contre Charlie Hebdodossier
Pour la première fois, deux services de police – la BRI et le Raid – et un de gendarmerie – le GIGN – se sont coordonnés pour des opérations simultanées contre deux prises d'otages.
Des policiers du Raid près du supermarché Hyper Cacher, porte de Vincennes, avant l'assaut le 9 janvier. (Photo Thomas Samson. AFP)
publié le 11 janvier 2015 à 20h26

Alertés par des détonations et l'intrusion d'un «preneur d'otages» au magasin Hyper Cacher, vendredi vers 13h45, une cinquantaine d'hommes de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) de Paris dont sa «formation anti commando» et autant d'opérationnels du Raid rappliquent porte de Vincennes, «gèlent les lieux» et montent un «PC commun sur le rond-point, sous des tentes», explique à Libération le patron de la BRI, Christophe Molmy, qui nous raconte l'assaut de l'intérieur.

Ces deux services unis dans la Force d'intervention de la police nationale (FIPN) répondent sur les ondes radio cryptées aux indicatifs de «Lazer» pour le Raid et de «Topaze» pour la BRI. Regroupés avec les gendarmes du GIGN dans l'Unité de coordination des forces d'intervention (Ucofi), tous ont adopté des «gestes et des codes» identiques : lever le poing signifiant «stop, arrêtez», le mot «Tango» pour «terroriste», «Omega» pour tireur d'élite et «Oscars» pour les otages. «On fait des exercices avec le GIGN, on sait travailler tous ensemble», insiste le commissaire Momy.

Vu les risques d'attentats islamistes en France, cinq négociateurs de la BRI et deux psychologues ont été «formés ces dernières semaines, acculturés pour pouvoir parler à des jihadistes». Porte de Vincennes, le Raid et la BRI savent qu'Amedy Coulibaly «retient une vingtaine d'otages à l'intérieur dont un petit enfant et une femme enceinte» : «Des proches de victimes qui ont reçu des coups de fil d'otages nous donnent leurs numéros de téléphone. Comme Coulibaly les a disséminés dans le magasin, nous avons pu parler à certains otages qui le disent armé d'un kalachnikov et d'un autre fusil d'assaut, équipé d'un gilet pare-balles lourd. Le plus inquiétant, c'est qu'il détient aussi d'après les témoins des bâtons d'explosif et qu'il menace de tout faire péter. Les témoins parlent de quatre morts».

La cellule mixte de négociation Raid­-BRI téléphone à Amedy Coulibaly sur le numéro avec lequel celui-ci a appelé BFM-TV pour chercher à contacter la police. Le négociateur Pascal de la BRI entreprend des discussions avec Coulibaly, polarisé sur une exigence majeure : «Vous ne devez pas vous attaquer aux frères Kouachi sinon je tue tout le monde.»

Selon le commissaire Molmy, «Pascal a alors le sentiment que l'on n'a aucune chance d'arriver à la reddition de Coulibaly, extrêmement calme et déterminé. Il consent du bout des lèvres à envisager éventuellement de libérer l'enfant. Il veut réfléchir, dit-il. On comprend qu'il faudra vraisemblablement aboutir à l'assaut. Avec le patron du Raid, Jean-­Michel Fauvergue, nous préparons un PAE, un plan d'action élaboré. Validé par le préfet de police de Paris Bernard Boucault, présent sur place, et par le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve. Décision dure à prendre. Sachant que "Tango" a piégé le magasin avec des bâtons de dynamite, on craignait l'explosion. Il risquait de faire sauter tout le monde».

Lorsque les policiers ont en ligne des otages, ils ne leur parlent pas de ce qui se prépare, mais leur donnent des consignes : «Si vous entendez des coups de feu, mettez-vous tous à terre, les mains sur la nuque, et ne levez surtout pas la tête.» De plus, l'assaut doit être «coordonné» avec l'intervention du GIGN contre les frères Kouachi retranchés dans un entrepôt à Dammartin. Or, à 16h57, les frères Kouachi font feu sur le GIGN.

A Paris, Jean­-Michel Fauvergue, code «Lazer 1», se trouve obligé d'agir en simultané. Il donne le top départ de l'assaut. Molmy, dit «Topaze 1» se trouve avec son adjoint dans la colonne d'assaut de la BRI chargée, dans le plan, «d'attaquer par la porte latérale des livraisons pour faire diversion et attirer le terroriste, car les vitrines de l'entrée côté rue sont opacifiées et de gros congélateurs se trouvent derrière». «C'est un moment d'extrême tension où on ne sait pas si on va revenir.»

Au top départ, la colonne d'assaut de la BRI fait donc «sauter à l'explosif la porte de livraison sur le côté de l'Hyper Cacher, bloquée par un diable et une palette de paquets de farine» : «Coulibaly nous engage immédiatement au fusil d'assaut kalachnikov, et blesse un de mes hommes au mollet. On a répliqué fortement et Coulibaly a reculé. Quelques secondes après, la colonne du Raid attaque côté rue. Du coup, le terroriste qui avance vers le Raid se trouve pris entre deux feux, devant et derrière lui. Je ne sais pas ce qui lui est passé par la tête mais Coulibaly est sorti dans la rue en tirant, blessant trois policiers du Raid. Puis on l'a abattu sur le trottoir. Dans cet assaut d'une extrême violence, aucun otage n'a été blessé. Je suis fier du courage et du professionnalisme de mes hommes». Pour la première fois en France, les trois forces d'intervention GIGN, RAID et BRI ont «travaillé main dans la main en parfaite coordination. On a vraiment été des frères d'armes».