Le ton est grave. Solennel. «Madame, monsieur, l'attentat meurtrier contre Charlie Hebdo a atteint notre République au cœur […]. La République a confié à l'école, dès son origine, la mission de former des citoyens, de transmettre les valeurs fondamentales de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité.» Jeudi, au lendemain de l'attentat, la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, envoyait cette lettre à tous les enseignants, assignant à l'école une très haute mission.
Angoisse. Ce jour-là, certains profs se sentaient quelque peu désemparés, inquiets de trouver les mots justes pour parler du drame, soucieux de désamorcer l'angoisse, préoccupés à l'idée de demander à leurs élèves d'observer une minute de silence. De fait, jeudi, dans la majorité des établissements, le calme a régné. Mais «70 cas problématiques nous ont été signalés, indique le ministère de l'Education. Seuls quelques incidents [liés à la minute de silence, ndlr] sont vraiment graves, et des élèves pourraient être déférés à la justice. Nous tenons aussi à préciser que ces derniers se sont déroulés sur l'ensemble du territoire, et pas seulement dans le 93…»
Vendredi un élève a été roué de coups de pieds et de poings par une dizaine de ses camarades dans le local à vélos de son lycée, à Châteauroux, racontait ce lundi la Nouvelle République. Et ce, assure le quotidien, à cause de ses nombreux posts «Je suis Charlie» sur Facebook. D'où l'enjeu pour l'éducation nationale de désamorcer les tensions en classe. Que dire ? Avec quels mots en parler ? Au ministère, on se targue d'avoir mis en ligne des éléments de langage, mais sur le terrain certains profs se sentent livrés à eux-mêmes (lire ci-dessous).
Maillon. Au lendemain de la manifestation géante, à laquelle une foultitude d'enfants ont participé, aux côtés d'adultes dont certains s'étaient fabriqué des banderoles «L'ignorance tue, éduquons nos enfants», l'école a été replacée sur le devant de la lutte pour les valeurs républicaines. Désignée comme un maillon essentiel dans la fabrique de citoyens. La ministre a entamé, lundi, un grand round de consultations. Tous sont conviés : les syndicats de l'éducation, les fédérations de parents, les syndicats lycéens, avant d'enchaîner dans la soirée avec les étudiants, les représentants des organisations syndicales de l'enseignement supérieur. Un marathon qui se poursuivra mardi avec les recteurs et les inspecteurs généraux. L'objectif ? Mobiliser. Montrer que l'attente des Français face à l'école a été entendue, en plus haut lieu et à tous les étages. Même si l'école à elle seule ne saurait tout résoudre, comme le pointent à la fois les profs et le ministère.
Grincements. Najat Vallaud-Belkacem a-t-elle entraîné ses partenaires dans son élan ? La volonté d'entrer dans la mobilisation est là. Même si les syndicats (FSU, Unsa, Sgen-CFDT, Snalc) ont exprimé de réels besoins d'accompagnement des personnels mais aussi de formation continue. Les parents d'élèves (FCPE, Peep, Apel) ont, eux, demandé d'être associés ou qu'on leur donne des espaces de parole.
Ces rencontres interviennent alors que doivent prochainement débuter des discussions sur un sujet en très forte résonance avec l’actualité : quel contenu donner aux fameux cours d’«enseignement moral et civique» (EMC) prévus, du CP à la terminale, à la rentrée prochaine ? Cette initiative, lancée par Vincent Peillon en 2013 dans le cadre de la refondation de l’école, en avait alors fait grincer plus d’un, notamment parmi les philosophes qui dénonçaient l’apparition d’une «morale d’Etat» ou le retour d’un vent laïcard visant les religions et en premier lieu l’islam. Cette fois, selon le ministère, ils seraient nombreux à vouloir contribuer à cette réflexion sur une morale laïque.
Photo Albert Facelly