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Libération

Les enquêteurs à la recherche d’un éventuel complice

La police reconstitue le parcours d’Amedy Coulibaly, du meurtre de Montrouge à la tuerie de l’Hyper Cacher.
Hayat Boumeddiene, le 2 janvier, sur la vidéosurveillance de l'aéroport d'Istanbul. (Photo AFP)
publié le 12 janvier 2015 à 19h56

L'hypothèse d'un complice d'Amedy Coulibaly et des frères Kouachi est explorée par la brigade criminelle de la police judiciaire (PJ) de Paris, la sous-direction antiterroriste (Sdat) et la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui enquêtent sur les actions terroristes «synchronisées» - selon les mots du preneur d'otages de l'Hyper Cacher, Porte de Vincennes - qui ont fait dix-sept morts à Paris. La réalisation d'une vidéo posthume authentifiée de sept minutes et seize secondes d'Amedy Coulibaly - mise en ligne dimanche sur Internet -, intitulée «Soldat du Califat», implique en effet «la complicité d'une tierce personne pour finir de la fabriquer et la poster», souligne un policier. Si «les enregistrements de quatre scènes distinctes de Coulibaly avec des décors et vêtements différents ont été réalisés avant sa mort», lors de l'opération du Raid et de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) à l'Hyper Cacher, Porte de Vincennes, «des images de l'assaut qui apparaissent sur la vidéo et des textes écrits sur des panneaux noirs qui font référence à sa prise d'otages ont dû être ajoutés après par une autre personne, puisque Coulibaly était décédé».

Le texte qui sous-titre le film de revendication mentionne en effet que Coulibaly est «l'auteur des attaques bénies de Montrouge où il a exécuté une policière le 8 janvier. Le lendemain, il mène une attaque Porte de Vincennes où il prend en otages dix-sept personnes dans une épicerie juive et exécute cinq juifs». La PJ cherche à savoir qui a tourné, monté et posté cette vidéo, «apparemment de l'étranger», et émet deux hypothèses : «Soit un individu non identifié s'en est chargé, soit sa compagne déjà partie en Syrie s'en est occupé.»

Un mandat de recherche international a été délivré contre Hayat Boumeddiene, 26 ans, fille de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne) placée en foyer après le décès de sa mère dans son enfance. Elle a épousé religieusement Amedy Coulibaly à l'été 2009, en voile intégral. Les enquêteurs veulent «déterminer son degré de connaissance des actes commis par son mari et l'aide qu'elle a pu lui apporter», explique un proche du dossier, avant de préciser : «Hayat Boumeddiene n'est pas impliquée directement dans les attentats exécutés par Coulibaly car elle avait sûrement déjà quitté le territoire français, mais nous voulons l'entendre.»

«Etuis». Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a confirmé lundi qu'Hayat Boumeddienne «est entrée en Turquie le 2 janvier en provenance de Madrid, il y a des images» qui la montrent à l'aéroport d'Istanbul. Selon le chef de la diplomatie turque, «elle est restée avec une autre personne dans un hôtel» d'Istanbul. «Elle est ensuite passée en Syrie le 8 janvier, ses relevés téléphoniques le montrent», via la ville de Sanliurfa, non loin du poste-frontière d'Akçakale. L'accompagnateur d'Hayat Boumeddiene a été identifié par les services turcs comme étant Mehdi Sabry Belhoucine, un citoyen français âgé de 23 ans, que les officiers français souhaitent également - selon nos informations - «auditionner, ainsi que l'un de ses proches».

Par ailleurs, la PJ croit savoir désormais la nature de l'action imputée à Coulibaly que le texte de la vidéo révélait : «Il a aussi posé une charge sur le réservoir d'une voiture qui a explosé dans une rue de Paris.»Un véhicule a bien explosé jeudi soir à Villejuif (Val-de-Marne) et causé des «dégâts matériels», sans que l'on sache si son propriétaire ou un bâtiment alentour était ciblé. La section antiterroriste du parquet de Paris est chargée d'une enquête distincte sur cet acte «pour vérifier s'il peut être attribué à Coulibaly».

En outre, dans la «planque» qu'Amedy Coulibaly occupait «depuis le 4 janvier» à Gentilly (Val-de-Marne), la PJ a découvert la parfaite panoplie du jihadiste : détonateurs, quatre pistolets Tokarev, un revolver, des munitions, bombes lacrymogènes, un gilet tactique, des jumelles, un gyrophare, des drapeaux de l'Etat islamique. Des téléphones et des cartes bancaires trouvés sur place sont en «cours d'analyse» pour tenter de retracer ses allées et venues et d'identifier ses contacts lors des préparatifs de ces attaques concertées avec les frères Kouachi.

De plus, Coulibaly pourrait être impliqué dans une fusillade survenue mercredi, à 20 h 30, sur la coulée verte de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). Un joggeur de 32 ans a été grièvement blessé par un inconnu qui lui a tiré trois fois dans le dos, le touchant à l'épaule, aux reins et à la jambe. L'expertise balistique a permis «de faire un rapprochement entre les étuis percutés découverts à Fontenay et le pistolet Tokarev retrouvé sur les lieux de l'hypermarché casher, Porte de Vincennes», a indiqué le parquet de Paris. La victime ayant aperçu dans la nuit un homme «de type européen», les enquêteurs se demandent si le tireur était réellement Amedy Coulibaly, «d'origine africaine, s'entraînant au tir la veille d'une action probablement prévue contre une école juive à Montrouge», où il a assassiné une policière municipale, ou bien s'il s'agit d'un autre homme «européen» ayant utilisé l'un des pistolets Tokarev de l'arsenal de Coulibaly. Une source judiciaire nous confirme cette piste : «L'hypothèse d'un complice existe bien.»

Artificier. Les enquêteurs s'emploient aussi à retracer le parcours de Chérif et Saïd Kouachi. Selon des sources yéménites citées par Reuters, ils se sont bien entraînés au Yémen l'été 2011 : «Les deux frères sont arrivés à Oman le 25 juillet 2011 et ont ensuite gagné clandestinement le Yémen, où ils sont restés deux semaines. Ils ont rencontré Anouar al-Aoulaki [le prédicateur d'Al-Qaeda, ndlr] et ont été formés pendant trois jours au maniement d'armes dans le désert de Marib. Ils sont retournés à Oman, qu'ils ont quitté le 15 août pour regagner la France.»

A l'époque suspecté d'avoir aidé à préparer l'évasion de l'artificier des attentats islamistes à Paris en 1995, Chérif Kouachi était mis en examen pour «association de malfaiteurs» et placé sous contrôle judiciaire, avec obligation de pointer tous les mois et interdiction de quitter le territoire français.