Ce lundi matin, les portes bleues de la synagogue rue Notre-Dame-de-Nazareth, dans le IIIe arrondissement de Paris, sont anormalement closes. Seules les caméras de sécurité semblent veiller sur l'entrée du bâtiment. Pourtant, à quelques mètres de là, une voiture de police patrouille dans la rue presque vide.
Même constat devant la synagogue rue de la Roquette, dans le XIe arrondissement. Sur le parvis, des barrières de sécurité viennent fermer l'accès au bâtiment. Deux militaires en treillis, mitraillette à la main, sortent dans la rue. Le drapeau en berne noué d'un ruban noir rappelle le drame qu'a connu la communauté juive. Vendredi, quatre clients d'une épicerie casher Porte de Vincennes ont trouvé la mort. Ils avaient été pris en otage par Amedy Coulibaly, auteur de la fusillade de Montrouge.
Dans ce climat d'insécurité, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Roger Cukierman, a annoncé dimanche que les écoles juives et les synagogues seraient protégées «si nécessaire» par l'armée, à l'issue d'un entretien avec François Hollande à l'Elysée. Lundi, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a confirmé la mobilisation de 10 000 militaires pour «assurer la sécurité des points sensibles» que représentent les 717 écoles et lieux de culte juifs en France.
Militaires et policiers en civil, horaires stricts
«Quand je vois les militaires armés de mitraillettes devant l'école comme ça, j'ai très peur. C'est bien qu'ils soient là mais c'est anxiogène», confie Chirane Saadoun, 30 ans, mère d'un garçon de 10 ans et d'une fille de 7 ans. Six militaires sont postés devant l'école privée Beth Loubavitch, rue Petit, dans le XIXe arrondissement, où ses enfants sont scolarisés. Le long du trottoir, des barrières encerclent l'entrée du bâtiment venant renforcer la surveillance habituelle des caméras.
Depuis mars 2012 et les attentats perpétrés par Mohamed Merah, les écoles juives, comme les lieux de culte israélites, font l'objet d'une protection permanente en France. Au sein de l'établissement, rue Petit, des militaires et policiers en civil veillent sur les enfants. Le filtrage mis en place à l'entrée impose des horaires plus stricts. Une angoisse de plus pour les parents : «Je suis venue à 11h30 pour déposer mes enfants. Ils m'ont dit que ça n'était pas l'heure d'entrer et que je devais faire demi-tour et revenir à 12h30. J'ai dû repartir à la maison avec mes enfants et les ramener ensuite. C'est inadmissible de me faire faire des allers et retour avec eux dans ces conditions d'insécurité. Je suis vraiment en colère», s'indigne Chirane Saadoun.
«Trop jeunes pour être confrontés à ce genre de choses»
Entre perturbation et questionnement, la situation est délicate à expliquer aux enfants. «Ma fille a à peine 3 ans donc je ne sais pas si elle comprend mais j'ai entendu des enfants de 8-10 ans qui disaient "regarde, il y a des militaires avec des mitraillettes", raconte une jeune mère poussant sa fille de 2 ans en poussette devant l'école Ganénou. Quand j'avais 8 ans, on ne parlait pas de ça avec mes copines. J'ai peur que mes enfants grandissent dans un climat de violence et d'insécurité. Ils sont trop jeunes pour être confrontés à ce genre de choses.» Dans cette école du XIIe arrondissement, la directrice, Corinne Zuili-Herbel est passée dans les classes pour expliquer la présence d'hommes armés aux élèves. «Il fallait en parler pour que ça se passe bien et qu'ils soient rassurés. Ils ont posé des questions, ont même fait des dessins. On voit que depuis, ils sont plus sereins», explique-t-elle.
En fin de journée, une réunion «informelle» est prévue avec les parents afin de leur donner des clés pour en parler avec leurs enfants et qu'ils puissent poser des questions. Si la nécessité de la présence militaire fait l'unanimité, certains craignent l'après. «On ne sait pas combien de temps ça va durer, s'inquiète Rachel, 25 ans, aide maternelle à l'école Beth Loubavitch. Ils seront là pour un temps, et demain ? Ces jours-ci, quoi qu'il arrive, on est sur le qui-vive, on s'attend à tout d'un moment à l'autre.» Une peur partagée par d'autres parents : «J'ai l'impression que ça ne va durer que quelques jours et que demain, quand il n'y aura plus personne, tout peut arriver.»
Le nombre de militaires mobilisés pour la sécurité du territoire, qui était de 2 000 dimanche soir, passera ainsi à 5 400 à partir de lundi soir, 8 500 mardi et 10 500 mercredi a indiqué le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian.