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Libération
Témoignage

«La crise des banlieues nous explose à la figure»

Pour François Chérèque, de l’Agence du service civique, les dérives jihadistes sont «le signe d’un défaut d’intégration» :
publié le 16 janvier 2015 à 19h36

«Après la stupeur et l’angoisse suite à l’attentat, puis l’émotion et l’unité ressenties lors de la manif de dimanche, on entre maintenant dans le temps de la réflexion et de la remise en question. Avec cette interrogation : comment en est-on arrivé là ? Car il ne s’agit pas uniquement de la dérive personnelle de trois terroristes. C’est aussi celle de notre société. Une dérive déjà identifiée lors de la crise des banlieues en 2005, et qui, à défaut d’avoir été traitée, nous explose à la figure aujourd’hui de la façon la plus atroce. Avec une difficulté supplémentaire, qui est la mondialisation de cette dérive, avec le phénomène jihadiste. Car les départs de ces jeunes sont aussi le signe d’un défaut d’intégration. Bref, il y a eu un raté magistral, à l’époque, vis-à-vis de cette jeunesse, que nous payons aujourd’hui. Et qui pose la question de l’éducation, de la formation, de l’accès à l’emploi…

«On ne peut en effet demander à un jeune d’être citoyen, d’être intégré dans la société et exiger de lui des devoirs, sans lui accorder les droits qui vont avec. Car être citoyen, c’est un tout. C’est d’abord le respect des autres, de leurs différences, et c’est agir pour accorder ces différences afin de bâtir le vivre ensemble. C’est faire attention à son voisin âgé, à la femme enceinte dans la rue, à la personne handicapée, etc. C’est un ensemble de conduites qui permettent de "faire société". Mais être citoyen, c’est aussi avoir des droits. Le droit au logement, à la santé, à la formation, à la culture ou encore au travail. Or, il y a tout une partie de la population à qui, aujourd’hui, on dénie ces droits, ce qui empêche d’accéder à la citoyenneté de façon pleine et entière.

«Je sais qu’il y a des jeunes qui ont refusé de suivre la minute de silence en mémoire des victimes et c’est inacceptable. Mais peut-on leur demander d’être des citoyens exemplaires dans une société s’ils se sentent discriminés ? Que leur propose-t-on comme accès à l’emploi, à la culture, à la formation ? Notre système d’exclusion ampute une partie de la citoyenneté.

«Prenons l’exemple de l’école. Rarement notre système d’éducation n’aura autant reproduit les inégalités sociales qu’aujourd’hui. Or, il n’y a pas de citoyenneté s’il y a discrimination dans l’accès à l’égalité des chances. Il ne suffit pas de former les professeurs à l’enseignement des valeurs républicaines si, dans le même temps, une partie de la population est reléguée. Même chose sur la pauvreté. Il n’y a jamais eu autant de pauvres chez les moins de 18 ans (presque 20%). Comment, dans ces conditions, inculquer le devoir de citoyenneté ? Tant que ces problèmes ne seront pas résolus, on ne réglera pas totalement la question de la citoyenneté.

«En prêchant pour ma paroisse, je crois que le service civique, si on le développe, peut être un outil puissant de citoyenneté. Il peut permettre à une partie de la jeunesse de s’engager dans des actions citoyennes (auprès de personnes âgées, des handicapés, pour la lutte contre le réchauffement climatique, etc.) tout en étant reconnu par la nation, entre autres par le biais d’une indemnisation. D’autant qu’on reconnaît ensuite l’expérience du jeune, ce qui l’aidera dans son parcours d’accès à l’emploi et à la formation. Les personnes qui sont passées par le service civique sont d’ailleurs davantage prêtes à s’engager et ont moins peur des autres. Elles sont ainsi 43% à penser que l’on peut faire davantage confiance à la plupart des gens, contre 17% pour celles qui ne l’ont pas fait. Et 92% d’entre elles se disent heureuses d’avoir fait quelque chose d’utile socialement.

«Sans pour autant verser dans un mea culpa déplacé, peut-on se poser toutes ces questions ?»