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Libération
TRIBUNE

Parler est une forme libre, une expérience

par Hanif Kureishi, Ecrivain
publié le 18 janvier 2015 à 17h19

Sartre, dans son autobiographie les Mots, dit : «Pour renaître, il fallait écrire.» Il y a quelque chose de significatif dans des phrases qui vous sont propres, aussi pauvres et inadéquates qu'elles puissent sembler, elles sont rédemptrices. Si vous vouliez dire à quelqu'un que vous l'aimez, en principe, vous ne demanderiez pas à quelqu'un d'autre de le dire pour vous. S'il doit y avoir une profusion ou un multiculturalisme de voix, particulièrement issues des marges de l'expression, alors les possibilités de disputes et de désaccords se multiplient. La vertu, et le risque, d'un véritable multiculturalisme des voix est que nous pourrions découvrir que nos valeurs sont finalement irréconciliables avec celles des autres. Si l'on adopte ce point de vue, tout s'aggrave. Le bruit et la confusion, internes et sociales, augmentent, tout comme les questions sur la manière dont les choses sont décidées, et par qui. Si l'idée de la vérité elle-même est remise en question, alors la nature de la loi elle-même est altérée. Elle peut devenir conditionnelle, par exemple, pragmatique plutôt que divine ou l'objet d'une modification ou d'une intervention humaine, pour ne pas dire un contrôle.

Il y a toujours de bonnes raisons de ne pas parler, de se mordre la langue, comme beaucoup de dissidents, d’artistes et d’enfants peuvent en témoigner. Parler offensera, est dangereux, blessant, effrayant, moralement mal, d’autres souffriront ou ils n’entendront pas. Mais ce qui est beau avec les mots, les phrases et les histoires, c’est que leur impact final est incalculable. Contrairement à la violence qui, elle, transmet un message indubitable, parler est une forme libre, une expérience. Parler n’est pas la description d’un état intérieur mais un rôle, une forme de spectacle.

La parole est un comédien qui improvise - ce qui est dangereux et imprévisible - plutôt qu'un qui déclamerait des phrases déjà écrites. «La pensée se fait dans la bouche», disait Tristan Tzara. Ce n'est pas que nous ayons besoin de meilleures réponses, mais plutôt de meilleures questions. Tout acte de parole est une demande, d'abord pour une réponse - qui prouve l'existence de la communication - mais en fait, vraiment, pour une riposte, pour plus de mots, pour de l'amour en d'autres mots.

Vous ne pouvez jamais savoir ce que vos mots vont signifier, pour vous ou pour quelqu’un d’autre ; ou à quoi ressemblera le monde qu’ils créent. N’importe quoi peut arriver. Le problème avec le silence est que nous savons exactement à quoi il ressemblera.

Texte paru dans «Libération» le 12 janvier.