Il est ces jours-ci aux îles Canaries. «J'en profite, dit-il, le soleil et un climat tempéré me font beaucoup de bien.» Mais c'est surtout le «crizotinib», une de ces nouvelles molécules contre le cancer utilisée dans les thérapies ciblées, qui a transformé sa vie. Les thérapies ciblées ? C'est un changement profond dans la stratégie contre le cancer : il ne s'agit plus, comme l'a rappelé la semaine passée l'Institut national du cancer (Inca), «de traiter un cancer en fonction de l'organe touché mais en fonction des spécificités de la tumeur. L'objectif étant ensuite d'utiliser des médicaments ciblant les conséquences d'une anomalie génétique présente au sein des tumeurs».
«Altération». «Aujourd'hui, le traitement, c'est du gâteau pour moi par rapport aux chimios ou aux rayons que j'ai subis. Une capsule le matin, une autre le soir, c'est tout», raconte Jean-François. Cela fait près de sept ans que l'on a découvert chez ce directeur d'un magasin de vêtements un cancer du poumon. Le pronostic était mauvais. «Le professeur du CHU de Caen m'avait dit de prendre mes dispositions. On me donnait alors entre trois et six mois à vivre.» S'ensuit un long parcours d'interventions : opérations, rémission, chimio, rechute, rayons, etc. En 2013, avec la mise en place partout en France de plateformes génétiques qui permettent d'analyser les tumeurs, on découvre que la tumeur de ce patient a une altération du gène ALK, altération qui se retrouve dans plus de vingt cancers.
Alors que le crizotinib n'était prescrit que pour un certain type de cancer du poumon, «nous avons essayé de voir si ce traitement pouvait avoir une efficacité sur d'autres tumeurs», explique Agnès Buzyn, directrice de l'Inca. «C'est à ce moment, en juillet 2013, raconte Jean-François, que l'on m'a mis dans ce nouvel essai.»
Résultats spectaculaires : «Au bout d'un mois, mon médecin a été stupéfait des résultats. En deux mois, c'est près de 80% du cancer qui avait disparu. Et maintenant, au bout d'un an et demi, je vais bien, et ils estiment que c'est près de 90% de mon cancer qui a régressé.»
Concordances. «Nous sommes dans une deuxième phase des thérapies ciblées, poursuit Agnès Buzyn. Il s'agit de tenter d'accélérer et d'élargir l'accès à ces thérapies.» D'où ce programme inédit, baptisé AcSé, dans lequel «on apprend en avançant. Car telle anomalie génétique peut ne pas être la principale cause de la tumeur mais, dans certains cas, elle l'est. On va ainsi faire le tri, ouvrir et fermer des portes».
Ce dispositif français est unique au monde : le réseau de 28 plateformes génétiques permet de tester près de 85 000 patients par an. «Et ce chiffre va augmenter. Bientôt, on va en tester plus de 100 000 par an, gratuitement, aussi bien dans le public que dans le privé.»
Ensuite, selon l'altération génétique de la tumeur, on essaie telle molécule qui marche déjà pour telle altération dans telles autres tumeurs. «Ces essais cliniques vont permettre d'identifier, en cas d'efficacité, les nouvelles indications.» A l'inverse, si aucun signe d'efficacité n'est observé dans certaines tumeurs, la prescription peut être évitée.
Depuis dix-huit mois, le crizotinib a ainsi été proposé à plus de 100 patients, adultes et enfants.Et, en moyenne, 300 tumeurs de patients sont testées par mois dans les plateformes. Un second essai vient d’être lancé fin 2014 avec une autre molécule : le vemurafenib. Il s’agit cette fois d’évaluer l’efficacité de ce médicament sur des patients atteints de divers types de cancer mais ayant tous une altération génétique commune : les mutations V600 du gène BRAF. Jusqu’à présent, cette molécule n’était indiquée qu’aux adultes porteurs de cette mutation et atteints d’un mélanome.
Il s'agit de construire peu à peu un vaste jeu de concordances entre tel type de tumeur, tel type d'altération génétique et tel type de médicament. «C'est un magnifique défi», conclut la directrice de l'Inca.