Dimanche 11 janvier, 15 h 30 à Paris, jour de marche républicaine. Thierry Keup, sympathique Arrageois de 55 ans, quitte le cortège et fonce droit vers Steeve, grand gaillard de vingt ans son cadet, pour le prendre dans ses bras. «Bravo pour tout ce que vous faites !» lance Thierry à l'autre, qui accepte en souriant, un peu gêné. Scène singulière dans une manif : Steeve est CRS. Il assure la sécurité des manifestants, boulevard Voltaire. Un journaliste de France 2 a assisté à la scène. Il demande à Thierry et Steeve de rejouer l'accolade devant les caméras. Une bise, puis deux. La foule acclame, et scande «un bisou, un bisou !» Images diffusées en direct.
Allégorie. Dix minutes plus tard, l'étreinte tourne en boucle sur les chaînes d'info et sur Internet. Un flic et un badaud qui s'embrassent, voici l'allégorie parfaite pour représenter l'union nationale. Et pourquoi pas au passage l'élan de sympathie dont bénéficie la police depuis la «neutralisation» des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly ? Sitôt la prise d'otages terminée, les messages de soutien ont envahi la page Facebook et le compte Twitter de l'administration. On y salue principalement le professionnalisme des forces de l'ordre dans le double assaut de la Porte de Vincennes et de Dammartin-en-Goële (Aisne). Les hashtags #JeSuisAhmed #JeSuisFranck et #JeSuisClarissa, version «police» de #JeSuisCharlie atteignent leur pic d'utilisation, avec plus de 220 000 partages.
L'occasion est trop belle. Décision est prise à la Direction centrale de la police judiciaire de tirer le portrait de Steeve, le CRS du boulevard Voltaire. Le service de com envoie un rédacteur et un photographe au Château-Leroy, à Quincy-sous-Sénart, dans l'Essonne, là où la compagnie républicaine de sécurité numéro 3, dont il est membre, a son QG. L'article est publié jeudi sur le site de la police nationale, avec ce titre : «Steeve, symbole malgré lui». Présenté comme «timide et discret», le CRS raconte la «scène émouvante» qu'il a vécue dimanche. Ça fait «chaud au cœur», dit-il la larme à l'œil. «Je ne sais pas pourquoi, mais régulièrement des personnes veulent me faire des bisous.» Postée sur @pNationale avec le bon hashtag (#ilssontpoliciers), l'histoire de Steeve a son petit succès. Elle est «likée» un bon millier de fois sur Facebook, un peu noyée au milieu des innombrables croquis et messages d'admiration, qu'on jure authentiques. «A ces hommes, ces visages anonymes prêts à sacrifier leur vie pour nous… Merci !» signé Sanchez, «poulet» à la retraite. La ficelle est un peu grosse. «On capitalise un peu la sympathie», assume Jérôme Bonet, le chef du service d'information et de communication de la police (Sicop). «On est toujours en quête de popularité, mais on est surtout dans une démarche de «mise en valeur» du travail de la maison», explique le commissaire divisionnaire.
Depuis l'attaque à Charlie Hebdo, ses services n'ont pas arrêté. «Ça a été rude depuis mercredi», reconnaît le policier, vingt ans de maison. Ces derniers jours, le Sicop version crise se partageait la communication d'urgence avec deux autres administrations : la préfecture de police pour les appels à témoin et les messages d'information à la population, le ministère de l'Intérieur pour démentir les rumeurs, qui furent nombreuses - entre des coups de feu entendus métro Jaurès (deux pétards lors d'une manifestation pro-kurdes) et un homme cagoulé et armé aperçu à Rouen (un retraité vêtu d'un bonnet qui passait l'aspirateur dans sa voiture). Chacun dans son rôle, donc, avec pour le Sicop la charge supplémentaire de faire stopper la diffusion du direct à BFM TV et i-Télé, le temps que les forces de l'ordre lancent l'assaut à l'imprimerie de Dammartin-en-Goële et au magasin casher de la Porte de Vincennes. «Ce fut mon seul acte héroïque dans cette affaire», raconte Jérôme Bonet, pas mécontent que ses équipes retrouvent une fonction «normale», avec une nouvelle popularité à assumer sur les réseaux sociaux et dans la rue.
Sivens. Depuis l'attentat, la page Facebook de la police nationale a gagné presque 50 000 abonnés. Sur Twitter, leur nombre a plus que doublé. Dimanche, les applaudissements en direction des forces de l'ordre étaient tout aussi fournis. On a vu des gens se prendre en photo avec des brigadiers, dont certains revenaient tout juste de Sivens. D'autres ont eu droit aux bouquets de fleurs. A Libé, une journaliste a serré dans ses bras un à un les quatre CRS qui veillent continuellement en bas de l'immeuble. Pendant qu'une chroniqueuse de Charlie Hebdo leur tâtait discrètement les fesses.