L'esprit Charlie fait des miracles assez croquignolets. Lors de leur séminaire d'intégration, les élèves de l'ENA viennent de placer la promotion 2015-2016 sous le haut patronage de l'écrivain George Orwell. Ce qui ne manque pas de sel. Les futurs délégataires de la puissance publique honorent ainsi l'auteur de 1984, mais également l'ancien milicien du Poum, marxiste anti-autoritaire qui se bâtit pendant la guerre d'Espagne à la fois contre le franquisme naissant et le stalinisme régnant au sein de la gauche.
Cela change de Winston Churchill, choisi l’an passé. Au lieu du sang et des larmes promis qui allaient si bien au teint des cost-killers budgétaires à venir, voici que la haute fonction publique d’après 11-janvier s’improvise garante de la liberté d’expression contre tous les Big Brothers.
Mise en exergue, la phrase-emblème d'Orwell assure que «parler de liberté n'a de sens qu'à condition que ce soit la liberté de dire aux autres ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre ». L'ambition est haute, le programme est beau. Nous verrons comment les préfets de demain mettront la chose en pratique quand ils devront télé-surveiller la société menacée et menaçante.
Espérons que la classe politique future – qui sans doute continuera à être recrutée en Enarchie – se mette au diapason et fasse du palais Bourbon une véritable maison de tolérance malgré les menées obscurantistes des réfractaires à la laïcité. Lesquels prospèreront si l’éducation nationale continue à prendre vapeur et si l’économie mondiale persiste à refuser de partager le travail équitablement.
Surtout, que la pouponnière des élites ne se trompe pas de combat. Il est probable que les Big Brothers de demain seront protéiformes, numériques et bardés des meilleures intentions. Il est fini le temps des potentats à moustache, Hitler ou Staline, si simples à identifier et à détester. La police de la pensée à venir sera mutante et nébuleuse. La novlangue de demain réseautera en cavalcade buzzeuse, compactant tout autant la sphère langagière.
Puissent surtout nos énarques en barboteuse éviter d'aller pantoufler chez les tycoons actuels, les Gafa et compagnie, comme leurs aînés ont fait les beaux jours du BTP et des établissements financiers. A ce compte-là, et à ce compte-là seulement qui grèvera leurs comptes en banque, ils seront fidèles à l'esprit de George «Charlie» Orwell.