Quelque 735 millions d'euros débloqués sur trois ans, 2 680 emplois créés malgré l'étau budgétaire et un projet de loi sur le renseignement, le Premier ministre a déclenché, mercredi en conférence de presse, un feu nourri contre le terrorisme. Des mesures (lire ci-contre) accueillies très diversement par les professionnels concernés.
La police applaudit
Pour la police, le gouvernement a mis le paquet. 1 100 recrutements vont être budgétés pour le renseignement. Une annonce dont se félicitent les syndicats de police, objectant toutefois que, si les moyens sont essentiels, il faut aussi questionner le fonctionnement des services. «Qu'il y ait plus d'agents permettra de tisser un filet plus serré, c'est évident, explique Michel-Antoine Thiers du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure. Mais l'enjeu, c'est que les effectifs se parlent et se coordonnent. Or, il existe encore bien des prés carrés. Par exemple, je ne comprends pas pourquoi on maintient une Direction du renseignement à la préfecture de police de Paris (DRPP), qui est extérieure à la Direction générale du renseignement intérieur (DGSI). C'est un Etat dans l'Etat qui complexifie l'échange des données.»
La même réflexion peut être appliquée au service de renseignement indépendant de la gendarmerie nationale.
S'agissant de l'adoption d'un cadre légal - à définir - contrôlant l'action des services de renseignement, là encore, les syndicats sont plutôt satisfaits : «C'est du gagnant-gagnant. On aura plus de possibilités et on sera mieux encadrés. L'efficacité n'empêche pas le contrôle», juge Philippe Capon, secrétaire général de l'Unsa police. En revanche, la création d'un fichier afin de recenser les personnes prévenues ou condamnées pour des faits de terrorisme est jugée petit bras par Michel-Antoine Thiers : «Ce n'est clairement pas suffisant. Pour être opérationnel, ce fichier doit être européen. De plus, en l'état, il sera très facile de s'y soustraire.»
La PJJ s’insurge
Au plan préventif, Manuel Valls a évoqué la création d'une unité de veille et d'information au sein de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Une proposition jugée «absurde» par les syndicats de la PJJ. S'ils ne savent pas concrètement en quoi consiste cette unité, ils craignent un dispositif où les éducateurs deviendraient des dénonciateurs. «On confond notre rôle et celui de la police, s'indigne Alain Cyroulnik, éducateur et syndicaliste SNPES-PJJ-FSU. Aujourd'hui déjà, si on sent une dérive ou qu'un môme est sous l'influence de mauvaises personnes, on fait une note au juge…» Alain Dru, secrétaire général de la CGT PJJ, abonde : «Les éducateurs doivent déjà s'occuper des problèmes psychiatriques, d'inceste et de racisme ordinaire. Si on fait la chasse aux islamistes, on ne fait plus rien d'autre !»
Pour eux, le manque de formation des éducateurs est évident. «On n'est pas compétents pour déceler quel jeune est un jihadiste en puissance. Et ce n'est pas une formation de quinze jours qui nous rendra aptes», déplore Alain Dru. Plus encore, les syndicats redoutent de perdre la confiance des jeunes dont ils ont la charge. «Le risque, c'est qu'ils ne viennent plus. Et puis, sincèrement, on est jamais mis dans la confidence sur leur envie de départ vers des pays comme la Syrie», remarque Alain Cyroulnik.
Le monde carcéral doute
Manuel Valls souhaite la création de cinq quartiers spécialisés au sein d'établissements pénitentiaires. «Ces espaces dédiés aux détenus radicalisés peuvent réduire le risque de contamination, mais cela peut aussi accentuer l'émulation entre les différentes personnalités qui s'y trouvent, estime Antoine Danel, secrétaire national du syndicat des directeurs pénitentiaires. Il faudrait surtout un programme de déradicalisation, mais c'est difficile à mettre en place. Un éparpillement des détenus est peut-être plus souhaitable pour noyer leur discours.» Benoît David, président délégué de l'association Ban public, est également sceptique : «C'est partir de l'idée que ces personnes ne sont pas réinsérables dans la société. Ce projet répond sans réelle réflexion à une émotion de la société.»
Internet attend de voir
Manuel Valls en a appelé «solennellement» à la «responsabilité morale» des fournisseurs de services internet. Pas question donc, à ce stade, de toucher au cadre défini par la loi pour la confiance dans l'économie numérique. De quoi rassurer l'Association des services internet communautaires (qui regroupe notamment Facebook, Google, Dailymotion ou Skype), dont le président, Giuseppe de Martino, juge qu'«il y a déjà un cadre très complet», même si «on peut sans doute accentuer la rapidité de la coopération quand elle pêche chez certains acteurs». Mais pour Félix Tréguer, cofondateur de l'association de défense des libertés en ligne la Quadrature du Net, cet appel «va encourager la surveillance des discours par les plateformes dans un cadre extrajudiciaire». A ses yeux, il est indispensable de «réaffirmer le rôle du juge». Enfin, il plaide pour remplacer le signalement direct aux hébergeurs par un dispositif passant systématiquement par Pharos, la plateforme de signalement du ministère de l'Intérieur, afin d'éviter les effets de «censure privée».