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Libération
Enquête

Le réseau «logistique» de Coulibaly

Quatre individus ont été mis en examen pour leur soutien présumé au terroriste.
publié le 21 janvier 2015 à 20h56

C'est un quatuor, soupçonné d'avoir «fourni une aide logistique à Amedy Coulibaly» (achat d'un véhicule et de matériel), mais a priori pas impliqué dans ses assassinats ni sa dérive jihado-terroriste. Agés de 22 à 28 ans, originaires pour la plupart de l'Essonne, ils ont été mis en examen, notamment pour «association de malfaiteurs terroristes en vue de commettre des crimes d'atteinte aux personnes», et écroués dans la nuit de mardi à mercredi. Sans passé dans le terrorisme, ils forment, selon le procureur de Paris, François Molins, «une sphère d'individus qui se connaissent soit parce qu'ils ont grandi dans le même quartier, soit parce qu'ils ont commis ensemble des faits qui relèvent de la délinquance de droit commun, soit parce qu'ils se sont connus dans le cadre de séjours en prison».

Il y a d'abord un trio. Identifiés par le parquet comme Willy P., Christophe R. et Tonino G., ils «se sont rendus à trois ou quatre reprises à la fin du mois de décembre dans des armureries de Paris et de la petite couronne afin d'acquérir du matériel pour le compte d'Amedy Coulibaly» : des gilets tactiques (appellation pour des gilets multipoches), plusieurs couteaux, un Taser et des bombes lacrymogènes. Le trio était également présent lors de l'achat de la Mégane avec laquelle Amedy Coulibaly s'est rendu à l'Hyper Cacher de la Porte de Vincennes. Willy P. est à rapprocher d'un Wally P. que Coulibaly, entendu par les policiers en mai 2010, décrivait comme un «ami blanc, grand et costaud, qui ressemble à un CRS», et qu'il désignait, dans son répertoire téléphonique, sous ce surnom de «CRS».

«Connexions». Le quatrième homme, Michaël A., a vu son ADN identifié sur un pistolet automatique et un revolver saisis au domicile de Coulibaly à Gentilly (Val-de-Marne). Son profil génétique figure également sur un gant retrouvé dans l'Hyper Cacher. Michaël A. était «en contact très régulier et soutenu au cours des quatre derniers mois avec des lignes de téléphone utilisées par Amedy Coulibaly» : on dénombre 362 messages et 13 appels échangés. Un policier ne se dit «pas étonné» qu'Amedy Coulibaly se soit appuyé sur «ces mecs qui ont toutes les connexions logistiques».

Du quatuor, seul Tonino G. n’a pas d’antécédent judiciaire. Michaël A., condamné entre 2009 et 2011 pour vol, violences aggravées et trafic de stups, a connu Coulibaly en prison, d’où il était sorti en mai 2013. Christophe R. a été condamné six fois entre 2007 et 2009 (violences aggravées, vol aggravé), et Willy P. cinq fois, de 2005 à 2012, notamment pour vol aggravé.

Selon Me Fabrice Delinde, qui représente un des quatre mis en examen, son client, qu'il ne veut pas identifier, était victime de «racket, de violences et de menaces depuis plusieurs années» de la part de Coulibaly, et il «exécutait ses ordres». «Ami d'enfance de la même cité» de la Grande Borne, à Grigny (Essonne), il aurait subi en 2009 un «tabassage en règle dans un bois avec une batte de base-ball en métal» de sa part.

«Il ne conteste pas avoir acquis divers objets pour le compte d'Amedy Coulibaly mais ne savait pas à quoi ils allaient servir, explique l'avocat. Il a été effondré de se retrouver mêlé à cette affaire. A aucun moment, il n'a pensé que ça se terminerait comme ça. Il n'a fait que rendre service et se retrouve manipulé.»

Au-delà de ce quatuor, les enquêteurs, dont le travail remplit déjà 25 tomes de procédure, cherchent à savoir si, en plus des assassinats d'une policière municipale à Montrouge le 8 janvier et de quatre clients de l'Hyper Cacher le 9 janvier, Amedy Coulibaly a tiré sur un joggeur de 32 ans, grièvement blessé le 7 janvier à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), au soir de la tuerie de Charlie Hebdo. Les étuis percutés sont similaires à ceux d'un pistolet de Coulibaly saisi au supermarché casher. «Certains enquêteurs ont émis l'hypothèse d'un possible tir d'entraînement» de Coulibaly, dit François Molins. Autre interrogation : que visait-il à Montrouge ? «On n'est pas dans la tête du terroriste, affirme le procureur, mais on ne peut pas ignorer le fait que, à proximité quasi immédiate de la scène de l'assassinat de cette pauvre policière, il y a une école juive.»

«Logement conspiratif». Enfin, l'appartement qu'Amedy Coulibaly occupait depuis le 4 janvier à Gentilly lui a servi, «selon toute vraisemblance», à tourner «une partie de sa vidéo de revendication», dont l'auteur du montage reste à déterminer. Pour le magistrat, cet appartement «s'apparente à un véritable logement conspiratif». Dans la salle de bains, on a saisi deux valises. Dans la première se trouvaient «un gilet tactique, un coran, une paire de jumelles, une dague et des photocopies d'un drapeau jihadiste». Dans la seconde, «quatre pistolets Tokarev, un revolver, quatre munitions de kalachnikov, deux bombes lacrymogènes, un gyrophare, un chargeur, quatre détonateurs pyrotechniques, un cutter, un chalumeau, des cartes bancaires, deux téléphones, 240 euros, la carte d'identité et la carte vitale d'Amedy Coulibaly».