Il est des non-lieux presque aussi infamants qu'un renvoi en correctionnelle. Clôturant leur enquête, les juges d'instruction bordelais se sont crus autorisés à pointer le «comportement manifestement abusif» de Nicolas Sarkozy, «sa demande d'un soutien financier occulte, nécessairement en espèces, formulée alors qu'il exerce les fonctions de ministre de l'Intérieur et qu'il est candidat déclaré à l'élection présidentielle». Ils lui ont toutefois délivré quitus au motif que demander n'est pas nécessairement obtenir et que sa requête formulée début 2007 aurait pu tout aussi bien être adressée à André Bettencourt, lequel avait toute sa tête, qu'à sa femme Liliane, déjà en perte de repères.
Au cours de l’enquête, Sarkozy aura péché en voulant trop démontrer sa maigre implication, n’admettant qu’un seul rendez-vous au domicile des Bettencourt, le 24 février 2007. Entendu dans un premier temps comme témoin assisté, il sera mis en examen quatre mois plus tard pour avoir dissimulé un autre rendez-vous, le 10 février. Cela s’est joué à des détails vestimentaires - des employés de maison l’ont aperçu une fois en cravate, une autre en col roulé - et à la comparaison de carnets de rendez-vous.
Le photographe François-Marie Banier avait bien consigné dans ses carnets cette confidence de Liliane, en avril 2007, dans la dernière ligne droite de la campagne : «On m'a dit que Sarkozy avait encore demandé des sous, j'ai dit oui…» Mais les magistrats n'ont pu que lui délivrer finalement un non-lieu, faute d'éléments plus probants. Car s'il aurait bien «sollicité un soutien financier illégal», il n'est «pas démontré de mises à disposition d'espèces».
L'ombre de Nicolas Sarkozy planera toutefois sur le procès en la personne d'Eric Woerth. Alors trésorier de l'UMP et de sa campagne présidentielle, il est renvoyé en correctionnelle pour avoir encaissé 50 000 euros et autres… «montants indéterminés». On a connu accusation plus factuelle. D'ailleurs, le parquet de Bordeaux a prudemment requis un non-lieu en sa faveur. «Un summum d'imprécision», concède un proche de l'enquête.
Encore une histoire de rendez-vous en pleine élection présidentielle. A deux reprises, le 19 janvier puis le 5 février 2007, Eric Woerth reçoit Patrice de Maistre, chambellan de la milliardaire, dans un café à proximité du QG de campagne. Ils se connaissent peu, de Maistre ayant simplement adhéré au Premier Cercle (club de donateurs à l'UMP) quelques mois plus tôt. Selon le souvenir de Woerth, il aurait été simplement question d'une collaboration intellectuelle de de Maistre à la campagne, sur le thème du financement des PME. Soit, mais l'intello en herbe avait mentionné sur son agenda un entretien avec le «trésorier» de Sarkozy.
Pour les juges d'instruction, «leurs déclarations sur l'objet de ces deux rendez-vous sont peu crédibles». Mais de là à conclure que «Woerth a bénéficié de sommes d'argent remises par de Maistre»… Certes, chaque entretien fut précédé de retraits en espèces (50 000 puis 400 000 euros) opérés par l'argentier de la maison Bettencourt. Mais à part le témoignage de Claire Thibout (la comptable de la milliardaire), attestant que de Maistre lui avait confié «devoir remettre cette somme à Eric Woerth», rien de plus. Les juges d'instruction insistent sur la «véracité» de son témoignage sur ce point pour accabler Woerth après avoir épargné Sarkozy. L'accusation est d'autant plus ténue qu'un autre échange de bons procédés entre Woerth et de Maistre, une remise de la Légion d'honneur contre l'embauche de la femme du ministre, a été disjoint. Il sera jugé à part en mars.