Les histoires d’amour finissent mal, en général. Alain Thurin a tenté de se suicider, dimanche, la veille de l’ouverture du procès pour abus de faiblesse dans l’affaire Bettencourt. Lundi, le tribunal n’a pu que constater ceci : l’infirmier de la milliardaire a tenté de se pendre dans une forêt proche de son domicile dans l’Essonne. Nul ne sait à ce stade dans quel état il en sortira : mort, vivant, et si oui dans quel état. Mais son cas raisonnera longtemps aux oreilles du tribunal correctionnel de Bordeaux, saisi d’une emblématique affaire de pique-assiette.
Alain Thurin n’est que l’un des dix prévenus de l’affaire Bettencourt. A titre personnel, il en a retiré 10 millions d’euros, sous couvert d’une donation testamentaire accordée en 2010. Une fortune pour cet infirmier à la retraite (1 600 euros de pension mensuelle), une paille pour d’autres prévenus.
Copinage ou abus de faiblesse d’une milliardaire impotente ? Son cas relativise et éclaire la prodigalité de la maison Bettencourt. Il est recruté en octobre 2007 pour veiller aux derniers jours d’André Bettencourt, qui décédera un mois plus tard. Puis au service de Liliane Bettencourt, qui manifeste déjà quelques signes de faiblesse. Son salaire plus que décuplé (18 000 euros) signifie l’aisance de la famille Bettencourt, sachant bien rémunérer ses employés de maison. Mais il y a plus. Entre autres tâches domestiques, l’infirmier est chargé de laver, habiller, mettre au lit la milliardaire, couchant lui-même sur un capané-lit à ses côtés. Une intimité et une promiscuité propres à engager leur relation sous des auspices moins professionnels.
«Manque»
Selon les dépositions des différents acteurs, «Liliane» finit par l'appeler «André», prénom de son défunt mari. En retour, «Alain» lui écrit des lettres enflammées : «Cette fois-ci c'est autre chose, d'autres sentiments, un besoin, un manque, je t'aime Liliane…» L'amour entre personne âgées (90 ans pour Liliane, 60 pour Alain) se passe aisément de rapports sexuels, mais aussi de transactions financières. Aussi, quand la milliardaire décide d'octroyer à son infirmier préféré une donation de 10 millions d'euros, Alain y voit malice : «Je n'ai pas envie de passer pour un Banier bis !» Quand il fait mine de refuser le pactole, sa bienfaitrice tente de le ramener à la raison : «Tu serais con de refuser.»
D'autres employés de maison ont une vision moins idyllique de leur relation. Pour Guy, le cuisinier de la famille, l'infirmier «était en mesure d'influencer madame Bettencourt comme monsieur Banier a pu le faire auparavant». Nada, la secrétaire, enfonce le clou : «Il prenait une place trop importante au goût de Liliane Bettencourt, sortant du cadre de ses fonctions.»
L'avocat désigné en vue d'une future mise sous tutelle de Liliane Bettencourt, Me Pascal Wilhelm, passe aussi par l'infirmier à tout faire en vue de communiquer avec la milliardaire aux trois-quarts sourde. Même des professionnels de la communication, grassement rémunérés pour éteindre l'incendie médiatique, ont dû reconnaître que le modeste infirmier était leur intermédiaire obligé pour avoir l'oreille diminuée de Bettencourt. Sans parler de Patrice de Maistre, pourtant expert en matière de faiblesse en tant que principal prévenu, qui a témoigné que l'infirmier «ne restait pas à sa place».
«Confusion»
Les juges d'instruction, renvoyant Alain Thrurin en correctionnelle pour abus de faiblesse, ont également une vision moins romantique du vaudeville. «Il a profité de sa qualité d'infirmier pour s'imposer à son tour dans la sphère personnelle de Liliane Bettencourt. Son emprise croissante doit être considérée comme abusive.» Alain reconnaît que Liliane «ne comprenait rien au niveau des affaires : elle était habituée qu'on gère les choses à sa place». Mais à la tutoyer à tout propos, il «admet entretenir ainsi la confusion totale avec une personne âgée, particulièrement isolée depuis le décès de son mari», tonne l'accusation.
Père d’un enfant autiste et administrateur d’un centre spécialisé traitant de ce genre de maladie, où son fiston Grégory réside, Alain Thurin a manifestement mal encaissé l’accusation pénale. Il ne pouvait mener deux combats à la fois.
Photo Rodolphe Escher