C'est une histoire qui commence à l'école et qui finit au commissariat. C'est l'histoire de mots d'adultes dans la bouche d'un enfant. On est le jeudi 8 janvier, au lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo. Comme dans la plupart des établissements français, un débat anime la classe de CE2 de l'école élémentaire Nice Flore, dans l'ouest de la ville. «Tu es Charlie ?» demande l'enseignant à ses élèves. «Non, je ne suis pas Charlie, je suis avec les terroristes», répond un garçon de 8 ans. Il est envoyé dans le bureau du directeur qui lui explique que les propos qu'il vient de tenir sont graves. Quelques minutes auparavant, il aurait refusé de participer à la minute de silence, ce que dément fermement l'avocat de la famille du garçon, Maître Sefen Guez Guez.
Près de deux semaines plus tard, le 20 janvier, le père du garçon, estimant que son fils subit des brimades de la part des autres élèves et des enseignants, décide de s'expliquer avec le directeur d'école. Devant le portail, le ton monte. Le chef d'établissement décide alors de porter plainte contre le père de l'enfant pour intrusion au sein de l'établissement et attitude menaçante auprès du personnel de l'école. Concernant le garçon, «un signalement a été fait auprès de la cellule de protection de l'enfance», selon le porte-parole du rectorat de Nice. L'institution scolaire considère qu'un «signalement» est nécessaire compte tenu «des propos inadmissibles et du refus de l'élève d'exercer la minute de silence».
«Ambiance». Pour Fabienne Lewandowski, directrice départementale adjointe de la sécurité publique des Alpes-Maritimes, ces «propos sont violents, inquiétants, alarmants et ont été tenus dans un contexte très tendu». De fait le père est convoqué au commissariat mercredi après-midi, accompagné de son fils. D'après Lewandowski, le garçon a reconnu une partie des faits lors de l'audition. A la question «As-tu dis "je suis avec les terroristes" ?» l'écolier répond : «Oui». Mais lorsque le policier lui demande «qu'est-ce que le terrorisme ?», il affirme ne pas savoir. L'agent poursuit alors : «As-tu dit "les musulmans ont bien fait et les journalistes l'ont mérité" ?» Le garçon nie.
De son côté, le père, un chef d'entreprise niçois, présente ses excuses face aux policiers. «Les parents sont désolés de l'ampleur que cette affaire a pris», affirme Maître Guez Guez. L'avocat de la famille dénonce également «l'ampleur disproportionnée de la situation entre un enfant de 8 ans, qui ne comprend pas ce qu'il dit, et la riposte policière. L'enfant est totalement dépassé par ce qui se passe», martèle le conseil de la famille. «L'audition s'est bien déroulée», affirme Lewandowski. «Une ou deux personnes doivent encore être entendues. Le dossier sera transféré au parquet qui décidera de la suite des événements », précise-t-elle.
Jeudi, l'enfant n'est pas allé à l'école. À la sortie des classes, devant le portail de l'école Nice Flore, les élèves ne parlent pas de l'affaire qui a désormais franchi le portail de la cour. «C'est une histoire de grands, d'adultes», commente Thérézane, une mère venue chercher son enfant. «Pour l'instant, il n'y a aucune répercussion sur l'ambiance entre les enfants». Mais pour Nadia, autre parent d'élève, cette histoire est allée trop loin. «Je suis choquée par le procédé, explique-t-elle. Ce n'est qu'un enfant qui véhicule ce qu'il a entendu. Faire intervenir la police me choque.» D'autres parents ne le voient pas de cet œil. Aurélie se range du côté du directeur : «Il a eu raison. Il ne faut pas laisser passer ce genre d'attitude sinon, après, ça risque de dégénérer.» L'affaire n'est pas terminée. D'après Maître Guez Guez, le directeur de l'école aurait interpellé le garçon alors qu'il jouait dans la cour d'école : «Arrête de creuser dans le sable, tu ne trouveras pas de mitraillette pour tous nous tuer.» Le garçonnet aurait aussi été privé de son insuline alors qu'il est diabétique. Le père a déposé plainte, jeudi en fin d'après-midi, pour violences aggravées.
«Force.» L'affaire a pris une dimension politique. La ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a approuvé jeudi les décisions prises par la direction de l'établissement. «Je le dis avec force, non seulement cette équipe a bien fait de se comporter ainsi, mais son travail de suivi, et pédagogique et social, est une œuvre utile et je l'en remercie», a-t-elle déclaré à la sortie de l'Elysée, où François Hollande recevait des acteurs éducatifs et associatifs. Même soutien au directeur de l'école du député-maire (UMP) de Nice, Christian Estrosi. En revanche, le Conseil français du culte musulman a fait cette mise en garde : «La lutte contre la radicalisation ne doit pas donner lieu à une hystérie collective».