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Libération
Récit

Nantes : le «gang des crêpiers» face au juge

Six «bonnets rouges» avaient aspergé la maison de Jean-Marc Ayrault d’œufs et de farine.
L'attroupement de militants, le 28  juin, devant le domicile de Jean-Marc Ayrault, à Nantes. (Photo Jérôme Jolivet)
publié le 29 janvier 2015 à 19h56

Ils voulaient lui apprendre «une nouvelle recette de crêpes bretonnes». Mardi, six «bonnets rouges» ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Nantes, après avoir aspergé d'œufs et de farine la façade du domicile de Jean-Marc Ayrault en juin dernier. Les faits s'étaient produits après une manifestation pour la «réunification» de la Bretagne, qui avait rassemblé entre 8 500 et 15 000 personnes dans le centre-ville…

Une trentaine de manifestants s'étaient alors dirigés vers la maison de l'ancien Premier ministre et maire de Nantes, située, dans un quartier tranquille de l'ouest de la ville. Leur irruption avait provoqué la stupeur des deux policiers de faction devant la maison de Jean-Marc Ayrault. «Je ne suis pas méchant, je suis juste un gentil Breton qui vient voir l'ancien Premier ministre», avait lancé un bonnet rouge aux deux fonctionnaires… Las : «cinq sachets de farine d'un kilo» et «de nombreux œufs» avaient été jetés sur la façade, derrière laquelle se trouvaient l'ancien Premier ministre et son épouse Brigitte. Des fumigènes avaient aussi «menacé d'embrasement» les véhicules de police sous lesquels ils avaient roulé, selon les deux fonctionnaires. «Ils ont dit aux policiers : "Vous n'avez rien compris, la prochaine fois on fera comme les Corses, ce sera l'ARB [Armée révolutionnaire bretonne, ndlr] et vous l'aurez bien cherché"», aurait même rapporté Jean-Marc Ayrault aux enquêteurs, selon une lecture de ses déclarations faite à l'audience par la présidente du tribunal.

«Les policiers n'ont pas été blessés physiquement, mais leurs uniformes ont été fortement souillés et ils ont été choqués psychologiquement», avait ainsi plaidé Me Annie Hupé, l'avocate des deux agents de la force publique, pour justifier leur constitution de partie civile. L'ancien maire de Nantes, lui, n'avait pas demandé de dommages et intérêts : un jet d'eau avait suffi à nettoyer sa façade.

Le parquet de Nantes ne l'avait pas entendu ainsi. Il avait fait poursuivre cinq des manifestants pour «dégradations graves» et «violences volontaires sur agent de la force publique». Un «port d'arme prohibé», en l'occurrence des couteaux de poche, était également reproché aux intéressés, ainsi qu'à un sixième manifestant. Des poursuites «disproportionnées», selon le collectif Vivre, travailler et décider en Bretagne, qui avait ironiquement surnommé les mis en cause «le gang des crêpiers». «C'est un mode d'action politique : l'idée n'était pas de salir ou de dégrader une maison, mais de symboliser un désaccord avec un farouche opposant à la réunification de la Bretagne», avait ainsi plaidé Me Erwan Lorvellec, l'un des deux avocats des prévenus. «Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Jean-Marc Ayrault ne s'est pas constitué partie civile : il sait que ce n'est pas sa personne qui était visée, mais bien sa fonction.» Réplique du procureur de la République :«Pour bon nombre de Français, le droit de manifester est un droit fondamental, comme la liberté d'association ou la liberté de la presse», avait-il souligné. Mais pour dire aussitôt que ce «droit qui est légitime […] doit se faire dans le respect de l'autre… Or, dans le cas présent, on va atteindre une personne chez elle, dans son intimité.»

Le tribunal correctionnel a finalement relaxé les prévenus du délit de «violences volontaires», et requalifié leurs «dégradations graves» en simples «détériorations légères». Pour finir, les prévenus ont été condamné à payer des amendes allant de 250 à 500 euros et d'un mois de prison avec sursis pour «port d'arme prohibé».