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Libération
Récit

François-Marie Banier, l’ami qui jouait à l’enfant gâté

L'affaire Bettencourtdossier
Au procès Bettencourt, le courtisan de la milliardaire, naïf à dessein, tente de justifier ses manquements aux obligations légales.
François-Marie Banier lors de l'ouverture du procès Bettencourt, le 26 janvier à Bordeaux. (Photo Rodolphe Escher)
publié le 2 février 2015 à 20h06

François-Marie Banier a souvent du mal à comprendre les questions posées par le tribunal. Ou alors il fait mine de ne pas capter. Le président Roucou lui expose pourtant un cas très pratique : l'ouverture d'un compte en Suisse à son nom, alimenté par un autre compte helvétique de Liliane Bettencourt. Le photographe mondain s'en tient à son leitmotiv : «Je ne comprends pas…» L'a-t-il déclaré au fisc ? «Tout a été fait devant notaire», élude-t-il. Pourtant, le banquier suisse en question avait bien expliqué, pendant l'enquête, ainsi la fermeture du compte de Banier : «Le client a peur d'une dénonciation.» Alors, après tergiversation sur le thème «je n'ai peur de rien et j'ai rien à me reprocher, c'était dans la logique de Mme Bettencourt», il finit par concéder : «Vous avez raison, c'est une fraude fiscale.» Question suivante ?

Magot. Principal prévenu du procès Bettencourt pour abus de faiblesse, Banier avait tenté de camper son personnage au troisième jour du procès : «Pour les chiffres, je suis dans la lune.» Pourtant sa relation privilégiée avec Liliane Bettencourt lui a permis de toucher près de 400 millions d'euros. Depuis, dans le but de tempérer les poursuites pénales, il a renoncé à une grande partie du magot, ne conservant qu'une bonne centaine de millions d'euros.

En deuxième semaine, où sont épluchées par le menu les différentes largesses de Liliane Bettencourt en sa faveur, il concède n'être pas totalement sourd aux problématiques fiscales. Au tribunal qui observe que «le père Noël passe à chaque fin d'année», Liliane régularisant alors ses diverses faveurs, l'ami François-Marie reconnaît qu'elle «souhaitait que je ne sois pas embêté, surtout par la fiscalité». Cela colle avec le personnage présumé lunaire. Sur l'importance des donations, qui seule justifie les poursuites pour abus de faiblesse, le tribunal entame une longue et minutieuse description. On en est à peine au quart du tiers que Banier concède : «J'ai certainement trop accepté.» Un peu plus tard, il lâche : «C'était sa dimension qu'elle m'a insufflée. Quand j'entends les chiffres…» Avant même que les juges n'examinent le cœur du problème, il plaide : «J'ai beaucoup, beaucoup refusé. Pas assez, je le regrette.»

Sur la nature de leurs liens, François-Marie Banier aime à magnifier son vécu : «"Ce que je vous donne, me disait Mme Bettencourt, c'est notre histoire à vous et moi." J'étais estomaqué mais elle voulait indiscutablement laisser une trace de notre lien.»A le réitérer trop souvent, pointe l'argutie purement pénale : «Elle ne m'a jamais donné quoi que ce soit provenant du patrimoine familial Bettencourt. Les actions de L'Oréal, la maison d'Arcouest étaient pour sa fille. Mais elle me répétait à propos des dividendes : "C'est mon argent, c'est à moi."»

Prodigalités. Sa générosité a débuté en 1997, quand l'héritière de L'Oréal avait toute sa tête. Pas le moindre abus de faiblesse- même si une première donation de tableaux (Mondrian, Braque, Man Ray, Picasso, Matisse…) pour 114 millions d'euros en 2001 donne le tournis. Les choses se gâtent à partir de 2007, quand la milliardaire commence à manifester quelques signes de déclin (même si elle ne sera formellement placée sous tutelle qu'après 2010) et que sa fille Françoise porte plainte. L'accusation ironise sur cet «homme de l'art qui prétend n'être pas un homme d'argent», soucieux de régulariser au plus vite certaines prodigalités passées. En septembre 2009, quelques mois après une perquisition à son domicile, François-Marie Banier obtient la pleine propriété d'un tableau de Munch, Liliane lui lâchant officiellement son usufruit à titre gratuit. La toile était pourtant chez lui depuis 2002, accrochée dans son salon puis protégée dans le coffre d'une banque. «Un coffre est une succursale pour le collectionneur», commence-t-il par digresser. Avant de relativiser : «Chez les Bettencourt, il avait été remplacé par un Giacometti.» Le Munch était alors coté 12 millions d'euros, contre seulement 1,7 lorsque Banier en obtenait la nue-propriété en 2001.

Rabibochage. Le photographe perd en revanche toute mondanité lorsqu'il est question de Françoise Bettencourt, qu'il nomme«Mme Meyers» ou «Mme Jean-Pierre», du nom de son mari Jean-Pierre Meyers, pièce rapportée. Quand l'avocat de Liliane évoque à la barre une «frénésie pathologique de dons», François-Marie Banier veut y voir les conséquences du rabibochage de la mère avec sa fille. A peine décontenancé, il lâche : «Famille, méfiez-vous de ce mot.»