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Libération
à la barre

Procès du Carlton : «C’était un plaisir pour moi... et peut-être pour elle aussi»

Affaire du Carlton, le procèsdossier
Ce mardi, l’ancien chargé des relations publiques du Carlton René Kojfer a témoigné face à une ancienne prostituée en larmes.
René Kojfer et son avocat, Hubert Delarue au tribunal de Lille, le 3 février. (Photo Martin Bureau. AFP)
publié le 3 février 2015 à 20h56

Elle a remonté le col et la capuche de sa doudoune noire jusqu'au-dessus de ses oreilles, et elle s'avance ainsi, protégée à droite et à gauche par ce rempart de tissu, son visage caché au public, tourné vers les juges. A. a arrêté la prostitution, «refait (s)a vie», dit-elle. Sa voix est étranglée par les sanglots dès les premiers mots. «Vous vous êtes prostituée pourquoi ?», lui demande le président du tribunal correctionnel de Lille. «J'ai perdu mon emploi, murmure-t-elle. J'étais dans l'événementiel dans l'hôtellerie.» «Quelqu'un vous amenée dans la prostitution ?», insiste le président. «Quelqu'un en particulier, non… Mais j'ai rencontré des filles qui m'ont poussée, elles m'ont parlé des bons côtés.» – «Il y a vraiment des bons côtés ?» A. fond en larmes. «Non, il n'y a pas de bons côtés, je vous le garantis.» Elle pleure et répète : «Je vous le garantis.»

Ce mardi, au deuxième jour du procès du Carlton, l'audience s'est intéressée au «premier cercle» des prévenus poursuivis pour proxénétisme. Celui composé de René Kojfer, chargé des relations publiques de l'établissement, Hervé Franchois, le propriétaire, et Francis Henrion, le gérant. Pendant l'instruction, Kojfer a reconnu avoir fait venir des prostituées travaillant dans les bordels belges de son ami Dodo la Saumure pour des «déjeuners» auxquels participaient Franchois et Henrion. La justice lui reproche également d'avoir mis en relation plusieurs de ces femmes avec d'autres «amis» à lui, profitant de ce «service» pour leur demander des passes gratuites. Là-dessus, ses explications sont moins claires. «Vous avez eu un rapport gratuit avec A.», questionne le président. «Je l'ai draguée, comme d'autres», dit René Kojfer. – «Elle semble dire que ce rapport était uniquement lié au fait que vous lui aviez présenté des clients», insiste le président. – «Non, non, bafouille René Kojfer. C'était sympathique, chaleureux, on n'a pas parlé d'argent.»

Le procureur de la République Frédéric Fèvre se redresse : «Vous aviez quel âge en 2010 Monsieur Kojfer ?» – «70 ans.»«Et A.?»«Je ne sais pas.»«Elle avait 25 ans», répond à sa place Gérald-Laporte, l'avocat de A. David Lepidi, avocat de l'association Equipes d'action contre le proxénétisme, partie civile, se lève à son tour. «Vous croyez qu'elle a eu cette relation avec vous par plaisir ?» René Kojfer le regarde interloqué, l'air de ne pas comprendre. «Du plaisir, oui, moi j'en ai eu, bredouille-t-il. C'était un plaisir pour moi… et peut-être pour elle aussi.»

«Bon bougre»

Après ce premier rapport, René Kojfer a continué à présenter des hommes à A., et lui a demandé une autre relation gratuite. Elle a refusé. «Alors, parce qu'elle dit non, vous la traitez de connasse», relève un des juges assesseurs, citant une conversation téléphonique enregistrée sur les écoutes judiciaires. René Kojfer ne dit rien, baisse la tête. «Pourquoi vous la traitez de connasse, répondez, vous aviez bu ?», le relance son avocat Hubert Delarue. «Oui, je crois. J'ai eu beaucoup de problèmes d'alcoolisme. A cause de ma femme.»

Le matin, à voix basse, René Kojfer a confirmé que sa compagne depuis trente ans le bat régulièrement. Il a raconté comment il avait été embauché comme mécanicien à 13 ans, sous pression de ses parents, pour gagner sa vie, puis vendu des «trousseaux de linge» en porte à porte pendant trente ans, jusqu'à ce qu'il trouve cet emploi de chargé des relations publiques au Carlton, dans lequel il semble pour la première fois avoir été heureux. Ses amis décrivent un «bon bougre», «fier de pouvoir dire qu'il connaissait des gens importants», quelqu'un de «volubile, gai-luron, qui mettait l'ambiance». Mais ce mardi après-midi, après une journée de questions, c'est un autre homme que l'on voit à la barre, affaissé, la voix pâteuse, au bord du malaise… Au point que le président fait venir les pompiers et suspend l'audience jusqu'au lendemain.

Dans la salle, Bernard Lemettre, président régional de l'association du Nid, qui accompagne les quatre parties civiles au procès, qui les soutient au quotidien, qui consacre tout son temps libre à aider les prostituées du Nord depuis quarante ans, soupire. «C'est terrible, aussi, la douleur de cet homme. Il n'avait aucune idée du mal qu'il leur faisait. Il le découvre maintenant.»