Les derniers cadres supérieurs ont quitté le Val-Fourré (Yvelines) dans les années 70. Ils ne reviendront pas. Ici, comme dans la plupart des zones à urbaniser en priorité (ZUP) françaises, l’enjeu de la mixité sociale ne concerne pas les classes supérieures. Ici, l’on préfère d’ailleurs le terme de «diversification» sociale, plutôt que de mixité. Le Val-Fourré, 22 000 habitants, fait partie de ces quartiers qui, après avoir touché le fond du fond de la misère et de la violence dans les années 80 et 90, retrouvent une seconde vie grâce à un vaste et ambitieux programme de renouvellement urbain - plus de 400 millions d’euros. Ville dans la ville - ou plutôt à côté de la ville -, la paisible Mantes-la-Jolie, le Val-Fourré s’est embelli, apaisé et enrichi de nouveaux équipements et services, mais il demeure un ghetto pauvre où le revenu par an et habitant ne dépasse pas 9 000 euros, contre plus de 20 000 en moyenne dans le reste de l’agglomération parisienne. Un quartier où vivent plus de 36% d’étrangers. Et dont l’écrasante majorité de la population est issue de l’immigration. Avec un taux de non-diplômés de 65% chez les jeunes. Un taux de chômage deux fois et demie supérieur au reste du territoire. Comme dans les autres ZUP, les millions injectés n’ont pas pu endiguer les effets démultipliés de la crise sur ces populations plus fragiles.
Attaches. Alors, lorsqu'on parle de mixité, «il faut être réaliste», résume Fabrice Levi, directeur du développement urbain à l'Epamsa, l'organisme qui a piloté le plan de rénovation urbaine du Val-Fourré. Sur les 162 logements en accession à la propriété construits pour créer cette mixité, environ 85% ont été achetés par des gens qui habitaient déjà au Val-Fourré ou qui y ont grandi. Une population qui a moins de préventions face à la réputation du quartier et qui y a ses attaches familiales et amicales. A défaut de réussir à faire venir des familles de l'extérieur, le plan de rénovation a permis «de fixer des classes moyennes», explique Fabrice Levi. Ouvriers et employés, jeunes couples pour la plupart, peuvent acquérir des appartements pour 2 500 euros le mètre carré. Ces classes qui, en désertant le quartier, avaient indirectement conduit à sa ghettoïsation.
Mosquées. Ce qu'on ne dit pas à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, mais qui ne semble pas vraiment défriser Pierre Bédier, ex-député et maire de Mantes-la-Jolie, et président UMP du département des Yvelines, c'est que cette mixité s'appuie aussi sur ce qu'il appelle «la spécialisation culturelle du quartier» : «Il y a 80% de musulmans au Val-Fourré, c'est une population d'où émerge une classe moyenne qui est une bénédiction pour le quartier.» L'élu UMP, à contre-courant de son parti et du discours politique général, a misé lourd sur cette «spécificité». Les deux principales mosquées, loin d'être laissées de côté, sont des points d'ancrage du quartier. Mises en valeur et intégrées dans l'urbanisme comme autrefois les églises dans les villages. Une école musulmane a été créée, avec le regard bienveillant des pouvoirs locaux. «Ici, on attire ces classes moyennes musulmanes en leur offrant les services qu'ils attendent. La Mosquée, les commerces halal et l'école privée en font partie.» Bédier soupire quand on lui parle de communautarisme. Il répond «pragmatisme» : «On reste un quartier de relégation à 55 km de Paris, on n'attirera pas de blancs ici. Ou alors des blancs musulmans.» Il dit qu'il n'aurait pas tenu ce discours il y a vingt ans. «La société a changé, il faut l'accepter.»