Il y a sa version à lui, celle de jeunes femmes «indépendantes», sur lesquelles il n'a «aucun contrôle», qui «vont et viennent» comme bon leur semble. Dans son récit, Dominique Alderweireld, 66 ans, alias Dodo la saumure, serait une sorte de proxénète réglo et rigolo, limite humaniste, qui fait signer des contrats - «les plus favorables de Belgique» - et ne roule pas sur l'or - «400 euros de pension, et puis les droits d'auteur de mon livre».
Ce panégyrique du bon maquereau par lui-même est déclamé devant le tribunal correctionnel de Lille, jeudi, au quatrième jour du procès dit du Carlton. Il est parfois entrecoupé de rires gras, par exemple lorsque Dominique Alderweireld parle de son ami René Kojfer, chargé des relations publiques au Carlton, présenté comme «essayeur gratuit» dans ses bordels. «Essayeur, oui, m'enfin il a jamais eu la réputation d'être très efficient dans cet exercice, hahaha.» Tous deux sont poursuivis pour proxénétisme, comme onze autres prévenus.
Sonnette. Et puis, il y a leur version à elles. S., dite «Jade», s'excuse lorsqu'elle pleure à la barre. Elle est grande, fine, le visage presque entièrement caché par un casque de cheveux auburn. Droite, sans bouger, elle raconte deux années passées au «Club Madame», à Renaix, en Belgique, en rase campagne. Elle est arrivée là en 2007. Dodo, le propriétaire, «essayait les nouvelles», raconte-t-elle. «Moi j'ai refusé.» Le club est ouvert 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Les filles se «reposent» dans une cuisine entre les passes. «On vivait à 12 ou 13 dans cette pièce qui nous tenait lieu de chambre, dit Jade. Il y avait des lits superposés. J'ai préféré m'installer à la cave. Je dormais dans mon sac de couchage, en tenue au cas où un client arrive.» Jade s'arrête un instant. «Dès que j'entendais la sonnette, je rejoignais les autres filles. On était présentées… Comme de la viande sur des crochets. Des petites, des minces, des grosses, des noires, des Asiatiques, des brunes, des blondes.»
A chaque passe, la prostituée touche la moitié de ce que verse le client, 40 euros en général. Elle perçoit également 30% sur les bénéfices des bouteilles qu'elle lui fait acheter. Elle n'est jamais payée en direct. C'est la gérante qui encaisse, et reverse les sommes minorées d'un forfait pour le logement et «les douches». Les «contrats d'adhésion» de Dodo, «non négociables», sont détruits à chaque fin de semaine et immédiatement refaits. «Comme ça, explique Jade, s'il y a un contrôle et qu'on voit que nous ne sommes pas déclarées, ils peuvent dire que c'est parce que nous sommes nouvelles.» Le président lui parle d'une voix douce : «Est-ce que vous pouvez nous expliquer… Comment ça se passait ?» Jade se met à trembler. «Ce qui se passe dans une chambre, il n'y a que le client et la fille qui le savent. Dans certains établissements on peut ouvrir la porte et crier et d'autres filles viendront vous aider. Mais parfois…» Elle pleure. «Parfois on monte et on est déjà alcoolisée… Et on n'ose pas dire non.» Elle se tait. Reprend. «Un jour j'ai bu beaucoup de bouteilles, je vomissais du sang. J'ai prévenu la responsable que je n'en pouvais plus, elle m'a dit : il faut y retourner. Que si je n'y retournais pas, elle ne me paierait pas ce que j'avais déjà fait.»
Hilares. Le président du tribunal se tourne vers Dominique Alderweireld. Il est poursuivi pour avoir adressé des prostituées à son «ami» René Kojfer pour des «parties fines» - certaines impliquant Dominique Strauss-Kahn. Jade y a participé, mais le volet «Washington et Paris» sera abordé la semaine prochaine. Dodo la saumure est en colère. «Jade veut faire ressortir le côté un peu misérable et forcé. C'est un mythe.»
Après une suspension, le président lit des extraits de conversations sur écoute entre Dodo la saumure et René Kojfer. Hilares, ils évoquent une jeune femme qui menace de porter plainte contre eux. «Oui, on l'a forcée à se prostituer et à se droguer», se marre Dodo. «On va finir comme Strauss-Kahn», rigole aussi René. Sur l'écoute suivante, le proxénète s'adresse à sa compagne, Béatrice, également gérante d'un de ses établissements. «On a une négresse ? Y'a un client qui veut baiser une négresse !» Une autre fois, il lui téléphone sur la route : «J'remonte avec du cheptel». «Vous parlez comme ça des femmes ?», demande le président. «Oui, se rengorge Dodo. C'est ma façon de parler. J'fais de l'Audiard.»
Quelques minutes plus tôt, une autre ancienne employée des clubs de Dodo a témoigné. Laura (pseudo destiné aux clients), petite femme blonde et frêle, a décrit, en larmes les «massages avec finition manuelle», l'exposition «en ligne, en robes sexy, pour être choisies par le client, comme un objet, comme une marchandise». Une avocate des parties civiles se rapproche de Dominique Alderweireld. «On perçoit la fragilité de Laura, Jade. Quand vous les avez embauchées, vous n'avez pas senti cela ?» Le proxénète la regarde, stupéfait. «Si toutes les entreprises devaient refuser les gens fragiles, il y aurait beaucoup de gens au chômage !» Il rit de son bon mot, une partie de la salle rit avec lui. L'autre pas.