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Libération
A la barre

Carlton : un «ténor» du barreau à la barre

Affaire du Carlton, le procèsdossier
Une ex-prostituée a évoqué vendredi ses liens avec Emmanuel Riglaire devant le tribunal de Lille.
Emmanuel Riglaire à son arrivée au tribunal le 2 février 2015 à Lille (Photo Philippe Huguen. AFP)
publié le 6 février 2015 à 20h26

Cela faisait dix minutes, à peine, qu’elle déposait à la barre du tribunal correctionnel de Lille quand, n’y tenant plus, il s’est levé. Elle : 41 ans, une allure de gamine en jean-pull, un corps frêle, une voix minuscule. Lui : une taille et une stature d’armoire à glace, coffre et épaules vastes, 46 ans, costume noir bien coupé, timbre qui porte. M. l’ancienne prostituée et Emmanuel Riglaire le «ténor» du barreau de Lille ont eu une liaison, c’est la seule chose sur laquelle ils s’accordent.

«Cadeaux». Lui parle aujourd'hui du «vomi de madame» pour qualifier ses déclarations. Elle dit qu'il lui «fait peur». M. a la voix qui tremble. Elle murmure qu'elle préférerait «ne pas reparler» de son enfance. «On peut dire que vous avez eu de sérieux problèmes», insiste le président. Elle pleure. Septième d'une fratrie de neuf, elle a été agressée sexuellement par un de ses frères, puis «vendue» par sa famille à un ministre des Emirats arabes unis. Elle s'enfuit, se prostitue. Quand elle rencontre Emmanuel Riglaire en 2003, elle a cessé la prostitution depuis sept ans. Il la défend dans un conflit de garde de d'enfant. «On a commencé à avoir des relations tarifées, dit-elle. Il me donnait de l'argent liquide et, sans doute pour ne pas me rabaisser, il appelait cela des "cadeaux".» «Qu'est-ce qui vous fait retomber dans la prostitution?» demande le président. «M. Riglaire m'a fait comprendre qu'en ayant des relations avec lui, je serais dispensée de frais de justice. Il m'a mise en relation avec M. Kojfer. Qui m'a présenté des hommes qui pourraient me payer.» Emmanuel Riglaire se lève, furieux. «Ce n'était pas un conflit de garde d'enfant mais de pension alimentaire. Et elle a payé des honoraires, point barre !»

L'avocat est poursuivi pour proxénétisme. Comme son ami et «frère» de loge maçonnique René Kojfer, chargé des relations publiques à l'hôtel Carlton. Par l'intermédiaire de Kojfer, M. va enchaîner des passes avec des notables lillois. Par celui de Riglaire, elle a rencontré Kojfer, puis David Roquet, ex-directeur d'une filiale d'Eiffage, qui l'a emmenée à une «partie fine» avec Dominique Strauss-Kahn. Le président se tourne vers M : «Les relations sexuelles avec M. Riglaire, elles étaient dictées par les sentiments ou par l'argent ?» M. le regarde : «J'avais besoin d'argent… Ce que j'aimais, c'était sa compagnie, pas les relations sexuelles. Il avait des pratiques particulières, que je n'aimais pas. S'il n'y avait pas eu l'argent, on ne serait pas restés ensemble longtemps.»

«Douleur». En 2006, M. tombe amoureuse d'un architecte. Elle arrête la prostitution, cesse ses relations avec Riglaire. Séparée en 2009, à nouveau en difficulté financière, elle rappelle l'avocat qui, dit-elle, la remet en contact avec Kojfer. Riglaire s'emporte à nouveau : «Ce n'est pas parce qu'elles sont parties civiles qu'elles disent la vérité ! Il faut arrêter avec les préjugés. Il faut voir aussi la douleur des prévenus.» Le procès se poursuit la semaine prochaine, avec l'audition mardi de Dominique Strauss-Kahn.