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Libération
Récit

DSK : «Je n’en tire pas la même impression qu’elle»

Affaire du Carlton, le procèsdossier
Au tribunal de Lille, l’ancien ministre a été confronté à M., ex-prostituée qui décrit comme «brutale» la relation qu’ils ont eue le 29 juillet 2010.
Le 2 février, la salle d’audience du palais de justice de Lille, où ss'est tenu le procès du Carlton. (Photo Aimée Thirion)
publié le 10 février 2015 à 20h46

Depuis le début du procès du Carlton il y a dix jours, c'est la première fois qu'un prévenu s'exprime ainsi. Un phrasé courtois mais extrêmement ferme, qui génère sa propre autorité, implacable. Dominique Strauss-Kahn, poursuivi pour proxénétisme aggravé, imprime à chacun de ses mots l'assurance qu'ils sont indiscutables. Il est à l'aise, en maîtrise totale, occupant l'espace, portant de la voix. «Vous étiez un des hommes les plus importants de ce monde», lui lance le président du tribunal correctionnel de Lille, en référence à ses anciennes fonctions de Directeur général du FMI. «Je ne sais pas si c'est vrai, mais on le dit, répond Dominique Strauss-Kahn. Nous avons sauvé la planète d'une des plus graves crises financières de l'histoire.»

A l'époque où il se débat avec la crise des subprimes, il échange aussi de nombreux SMS avec Fabrice Paszkowski, également poursuivi pour proxénétisme. Cet ami gérant de sociétés de matériel médical à Lens (Pas-de-Calais), lui demande ses disponibilités, et organise en fonction des soirées sexuelles avec des prostituées. «Nous nous sommes rencontrés douze fois sur la période de prévention, soit environ quatre fois par an, précise DSK. Quand on lit l'ORTC [Ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, résumé de l'instruction ndlr], on a l'impression d'une activité frénétique où tout le monde ne faisait que ça. Je le dis sans prétention, j'avais autre chose à faire.»

Voix minuscule. Le 29 juillet 2010, Dominique Strauss-Kahn, Fabrice Paszkowski, David Roquet (dirigeant d'une filiale d'Eiffage) et Jean-Christophe Lagarde (policier, chef de la Sûreté départementale du Nord) se sont retrouvés dans une suite de l'hôtel Murano, à Paris. M., prostituée, était là. Elle s'avance vers la barre, en jean et pull beige. Elle est fine, sa voix est minuscule. Pour cette «soirée», elle a été «recrutée» à Lille par David Roquet. «Il m'a dit que nous n'étions là que pour Dominique Strauss-Kahn, que les filles étaient pour lui.» De Lille, M. a voyagé en train avec Paszkowski, Roquet et Lagarde. «Trois autres filles» et DSK les ont rejoints à l'hôtel, dans la suite en duplex. En bas, un salon avec «un buffet». En haut, des chambres.

«Comment ça c'est passé ?» demande le président d'une voix douce. «Une première jeune fille est montée avec Dominique Strauss-Kahn, commence M. Ils ont eu un rapport sexuel et sont redescendus en peignoir.» Sa voix se casse. «Et ensuite, je suis montée avec lui.» Elle se tait. On entend juste un sanglot. «Continuez, Madame, insiste le président. Vous étiez consentante ?» M. pleure. «J'ai montré mes réticences par des gestes. Qui faisaient comprendre que je n'acceptais pas cette pratique.» Elle se tait à nouveau. La salle comprend, parce qu'elle l'a dit à plusieurs reprises durant l'enquête, qu'elle parle d'un rapport de sodomie. «Vous n'avez pas pleuré ?» questionne le président. «Si, beaucoup. - Est-ce qu'il s'en est aperçu ? - Oui.» Un blanc encore, et elle reprend. «C'est son sourire qui m'a marquée du début jusqu'à la fin. Il avait l'air d'apprécier ce qu'il faisait.» «Est-ce que Dominique Strauss-Kahn a pu s'apercevoir de votre refus ?» demande à nouveau le président. «Oui. Je pleurais. Et puis je disais que j'avais très mal. - Il y avait de la violence ? - Non, c'était pas de la violence, c'était un rapport de force. Brutal parce qu'il ne s'est pas arrêté. - Mais consenti de votre part ? - Oui, parce qu'il me fallait cet argent, j'en avais besoin.»

Après une suspension, Dominique Strauss-Kahn est interrogé sur le récit de M. «Est-ce que les choses se sont passées comme elle l'a dit ? - Globalement oui. Je n'en tire pas la même impression qu'elle. Mais son récit me semble cohérent», répond sa voix affirmée. «Est-ce que vous avez remarqué quelque chose qui marquait son opposition ?» DSK garde le même ton d'autorité absolue. «Je n'ai pas senti de sa part une dénégation ferme. Elle a sans doute manifesté par des gestes qu'elle ne voulait pas trop. Même dans les relations sexuelles en couple il y a des rapports de domination. - Cette femme a précisé qu'elle pleurait, vous l'avez remarqué ? - Non, sûrement pas.» Il marque un silence, prend un timbre plus grave. «Cela m'aurait…» Silence encore. «…glacé.»

Tenues. Le tribunal passe ensuite un long moment à débattre de la connaissance, ou non, par Dominique Strauss-Kahn, du statut de prostituées des participantes. C'est l'enjeu des poursuites : s'il l'ignorait, il doit être relaxé. M. a expliqué que «cela se voyait», dans les tenues «provocantes», dans la nature des rapports sexuels enchaînés «sans préliminaires». L'ex-directeur du FMI affirme le contraire, soutenu par ses coprévenus, qui assurent qu'ils lui ont présenté les femmes comme «des libertines». «La prostitution, dit DSK, ce n'est pas ma conception des relations sexuelles. Moi, j'aime que ce soit la fête. Les prostituées qui se lèvent une minute après l'acte, je n'aime pas ça.» Le président lui fait remarquer que c'est pourtant ce qui s'est passé avec M., partie immédiatement. Dominique Strauss-Kahn n'est pas troublé. «Ça peut arriver. Mais je répète, je n'aime pas avoir des relations glauques. Je n'aime pas qu'il n'y ait pas d'aspect ludique.»