Jour après jour, elle revient à la barre du tribunal correctionnel de Lille. Parce qu'elle est l'une des prostituées à avoir participé au plus grand nombre de «soirées», Jade, grande femme mince au visage caché par un casque de cheveux auburn, raconte inlassablement les passes, les hôtels, les bordels, les transactions, les clients. Ce mercredi 11 février, il est question à l'audience du procès du Carlton d'une «partie fine» avec Dominique Strauss-Kahn au Tantra, club belge échangiste, à l'automne 2009.
«On m'avait clairement fait comprendre que j'étais là pour DSK, raconte-t-elle. Mais quand j'ai vu ce mélange de corps, c'était une véritable boucherie, je ne me suis dit non, je ne peux pas y aller.» Elle reste donc au bar, discute avec «l'accompagnatrice» de DSK, «qui gardait sa veste». Puis David Roquet et Fabrice Paszkowski, les amis du Directeur du FMI qui l'ont payée 500 euros pour la soirée, lui demandent de raccompagner DSK et son amie à leur hôtel, à Bruxelles. Le trajet dure une heure. «On a parlé de la prostitution, des vitrines autorisées en Belgique, raconte Jade. Je leur ai dit que je travaillais dans un club échangiste. Que je faisais un strip-tease sur scène et qu'à la fin, je choisissais un client dans le public pour avoir une relation sexuelle avec lui.» Pour Jade, cette conversation ainsi que d'autres «signes» prouvent que Dominique Strauss-Kahn savait qu'elle était prostituée. C'est l'enjeu fondamental : DSK encourt jusqu'à dix ans de prison s'il est reconnu coupable de proxénétisme.
«Je revis cet empalement de l’intérieur, qui me déchire dedans»
Arrivés à Bruxelles, DSK propose à Jade de «finir la nuit» avec lui et son amie. «Comme j'avais été payée pour une prestation et que je n'avais encore rien fait, j'y suis allée», dit Jade. Elle fond en larmes lorsque le président du tribunal lui demande de raconter ce qui s'est passé dans la chambre, une sodomie brutale. «J'ai subi… une pénétration à laquelle j'aurais dit non s'il m'avait demandé. Parce que je ne veux pas de ça. A chaque fois que je vois sa photo, je revis cet empalement de l'intérieur, qui me déchire dedans. Aucun autre client ne s'est jamais permis ça avec moi ! Alors peut-être ce client-là pense qu'il peut tout faire parce qu'il a un niveau social supérieur…» Le président lui fait remarquer qu'elle vient d'employer à deux reprises le terme «client» pour parler de Dominique Strauss-Kahn. «Oui, parce que s'il n'avait pas su que j'étais prostituée, s'il m'avait pris pour une libertine comme il dit, il m'aurait posé la question de savoir si j'étais d'accord pour avoir ce rapport-là.»
Dominique Strauss-Kahn s'approche de la barre. Il a toujours le même ton, calme et ferme, en maîtrise. «Rien de tout cela ne me permet de déduire qu'elle est prostituée. J'ai pensé qu'en tant que libertine, elle aimait danser dans un club et avoir une relation avec un client. Je ne mets pas en cause la perception qu'elle a eue de notre rapport sexuel. Mais je ne l'ai pas ressenti de la même manière. Je pense que je dois avoir une sexualité, je le découvre dans ce dossier, par rapport à la moyenne des hommes, plus rude. Mais j'ai exactement le même comportement sexuel avec toutes les femmes.»