Dans la loi française, le ou la prostitué(e) est une figure juridique très mal identifiée. Le code pénal condamne fermement le proxénétisme, mais la nature de la relation entre la prostituée et son client, elle, reste juridiquement floue. L’enjeu, cette fois, relève du droit civil et pose la question du contrat qui relie client et prostituée lors d’une relation tarifée.
Se prostituer, est-ce interdit ?
La loi n'interdit pas la prostitution. Elle ne lui confère pas non plus une existence légale. Elle l'ignore. Nulle part dans la loi n'existe une définition de la prostitution. C'est le juge qui a précisé ses contours. A un couple qui s'offusquait d'avoir été condamné pour proxénétisme parce qu'il tenait trois salons de relaxation où les masseuses «plus ou moins déshabillées, se livraient à des attouchements sur des hommes, allant jusqu'à provoquer l'éjaculation», la Cour de cassation a précisé, dans une jurisprudence de mars 1996, que la prostitution pouvait s'entendre comme «se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu'ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d'autrui».
Mais si la loi française n'interdit pas le fait de se prostituer, elle a multiplié les règles qui rendent de fait de plus en plus difficile cette activité. Le code pénal condamne le proxénétisme (sept ans d'emprisonnement), le racolage «actif» ou «passif» (deux mois d'emprisonnement) ou le recours à une prostituée mineure ou vulnérable.
Une proposition de loi, actuellement en discussion au Sénat, voudrait aller plus loin en pénalisant le client (lire ci-contre). Sur le blog LibéRation de philo, Ruwen Ogien en dénonce d'ailleurs «l'irrationalité» : «Il laisse des personnes libres de vendre des services qu'il serait interdit d'acheter.»
Existe-t-il un contrat entre la prostituée et son client ?
De fait, leur relation sexuelle tarifée est contractuelle - même si rien n'est écrit ni signé. La passe peut donc être qualifiée de «prestation de service». La Cour de justice de l'Union européenne l'a reconnu en 2001 : la prostitution peut être considérée comme un service fourni contre rémunération «dès lors qu'elle est exercée par le prestataire du service hors de tout lien de subordination».
Contribuable, la prostituée n'est pas pour autant une justiciable comme les autres : porter plainte contre un client qui n'aurait pas respecté sa part du contrat reste évidemment bien théorique. La question semble même hors de propos à Marie Prin, secrétaire générale du Strass, le syndicat du travail sexuel : «La plupart des putes ne vont déjà pas au commissariat quand elles se font voler ou tabasser par un client… Le reste me paraît très secondaire.»
La «vente de son corps», une transaction comme une autre ?
Longtemps, le droit déclarait nul tout contrat contraire aux «bonnes mœurs». La notion est toujours présente dans les codes. «La prostitution n'est pas interdite, mais devant un juge, le contrat entre la prostituée et le client pourrait toujours être déclaré illicite, explique Laurence Blisson, secrétaire nationale du syndicat de la magistrature. Or, tout l'intérêt d'un contrat, c'est de pouvoir en demander l'exécution devant un tribunal… C'est la zone d'ombre de la semi-prohibition actuelle.»
Pourtant, le concept juridique de «bonne mœurs», anachronique, s'est progressivement effacé ces dernières années dans la jurisprudence de la Cour de cassation. «Les "bonnes mœurs" sont devenues un argument fragile, la "dignité de la personne" a pris le relais», explique le juriste Philippe Reigné. C'est sur ce concept que les abolitionnistes fondent désormais leur volonté d'interdire la prostitution. L'article 16 du code civil rappelle qu'au nom de la dignité de la personne, «le corps humain est inviolable». Il n'est donc pas une marchandise et sa vente ne peut faire l'objet d'un contrat. Or les prostituées ne vendent pas leur corps, mais un service (rien à voir, donc, avec la vente d'organe).
Mais le concept de «dignité humaine» va plus loin et peut concerner toute atteinte morale ou psychologique à la personne. Dans un arrêt de 2007, la Cour européenne des droits de l'homme avait jugé «la prostitution incompatible avec la dignité de la personne humaine dès lors qu'elle est contrainte». Des associations abolitionnistes, comme l'Amicale du Nid, souhaiteraient que cette indignité s'étende à toute forme de prostitution, «choisie» ou non. Ce qui revient à un duel droit contre droit : les partisans de la réglementation, eux, demandent à ce qu'on respecte le droit à la vie privée des prostituées et celui de disposer de son corps.