Menu
Libération

«La prostitution ne fait pas partie du progrès des sociétés»

publié le 12 février 2015 à 20h06

En début de matinée jeudi, on en était encore à Dominique Strauss-Kahn et à son «matériel», le terme que l'ex-directeur général du FMI employait pour désigner les femmes recrutées pour partouzer avec lui. Le président du tribunal correctionnel de Lille lisait sans enthousiasme les nombreux SMS échangés entre DSK et Fabrice Paszkowski, coorganisateur de ces «parties fines» : «Qui auras-tu dans tes bagages ?» demandait le premier. «J'ai de très belles et nouvelles choses pour mon déplacement à DC», l'appâtait l'autre.

On évoquait ensuite la garçonnière que DSK louait avenue d'Iéna à Paris, et qu'il utilisait «pour recevoir des personnalités politiques de manière discrète, mais aussi soyons clair pour recevoir des jeunes femmes». Il l'a caché pendant l'instruction, il explique qu'il peut le dire maintenant, du même ton d'autorité détendue que le reste : «J'étais marié.»

Et puis, Bernard Lemettre est venu à la barre. Il a 78 ans, des cheveux blancs, une voix et des manières douces. Depuis le début du procès, il est assis aux côtés des quatre ex-prostituées parties civiles. Il leur tient la main, sèche leurs larmes, les emmène déjeuner à la pause du midi. Depuis quarante ans, il milite à l’association abolitionniste du Nid, préside l’antenne du Nord qui suit 240 femmes.

Bernard Lemettre raconte sa «rencontre» avec les parties civiles. «Jade, dit-il, c'était le 3 novembre 2011. Je me souviens de la date parce que sortir de la prostitution, c'est comme sortir d'un tombeau, d'une non-existence. Personne n'arrive à la prostitution comme ça, il y a toujours une fragilité, des rencontres qui vous ont piégé». Les deux semaines de débat judiciaire auxquelles il a assisté, il les résume en un mot : la honte. «Celle des parties civiles que j'accompagne. Mais aussi des personnes traduites devant ce tribunal, même s'ils ont beaucoup de mal à le dire. La honte, c'est aussi le sentiment de ceux qui disent "je ne voulais pas savoir."»

Aux avocats des parties civiles qui lui demandent s'il n'y a pas plusieurs prostitutions, celle des maisons closes et celle des rues, celles des femmes qui la revendiquent comme leur choix et celle des victimes de la traite, le vieil homme sourit tristement : «Je ne pense pas que la prostitution fasse partie du progrès des sociétés. Un corps de femme n'est pas fait pour être pénétré cinq fois, dix fois par jour. Ça n'est pas ça, une femme.»