Je rêve que je tue les gens de HSBC, je ne veux même pas savoir ce que signifie cet acronyme, pourvu qu’il rime avec crime. Puis je redescends sur terre, à l’aéroport de Roissy, ce monde hors monde auquel je préfère le train, la voiture ou la maison. Il m’arrive pourtant de prendre l’avion. Les aéroports dégagent un malaise neutre, ils cumulent les inconvénients du sol tout en se croyant dégagés de ses contraintes. Un aéroport se voudrait libre et n’est que libéral. Les pauvres n’y ont pas accès (sinon en douce), toute la propagande du luxe, Prada - Chanel - Vuitton, s’y étale sans répit. NKM devrait vivre à Roissy, où c’est tous les jours dimanche.
Quiconque a la chance de déguster des macarons Ladurée à Roissy a donc également celle de croiser, depuis des années, les immenses publicités pour la banque anglaise HSBC, dont une enquête magistrale vient de révéler qu’elle est l’une des plus grandes officines d’évasion fiscale au monde. Avant que n’éclate le scandale, je me sentais déjà menacé par les slogans débiles de HSBC ; la bêtise fait peur, avec sa puissance de tir omniprésente. Comme d’habitude, j’interpellais les gens, je leur disais l’absurdité de ces messages qu’ils ne voyaient pas. On me prenait pour un fou, je me sentais seul dans les travées avec ce langage abject et lisse.
Par grands panneaux adhésifs collés partout, des vitres jusqu’aux sas d’embarquement pour l’avion, HSBC vous poursuit de sa philosophie vide. C’est un vide malin parce qu’il est stupide : «RIEN NE RESSEMBLE À DEMAIN» et «DEMAIN EST PLEIN D’OPPORTUNITÉS». Des publicitaires ont dû plancher des heures pour obtenir ce grand résultat. Milliardaire en tout sauf en figures de style, HSBC a le niveau rhétorique d’un distributeur de billets.
Quand apparaissent les énoncés professionnels, ça se corse : «DANS LE FUTUR, TOUS LES MARCHÉS AURONT ÉMERGÉ» prévient-on sans rire - le rêve du libéralisme, que rien ne puisse échapper à la marchandise. Ces donneurs d'ordre sont de plain-pied dans leur époque, quoique soucieux d'aller de l'avant : «DANS LE FUTUR, CHAÎNE ALIMENTAIRE ET CHAINE D'APPROVISIONNEMENT NE FERONT QU'UNE.» Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Il y a des millions d'hommes qui ne mangent pas et des milliards qui bouffent de la merde, c'est une continuité bancaire. Revenons au XIXe siècle, qui est l'avenir de ces prophètes : «DANS LE FUTUR, LA SUCCESSION S'ORGANISERA DÈS LA NAISSANCE» - associée au message, l'image d'une paire de Berluti taille bébé. Trader dès le biberon, quel bel avenir. Le «futur» est leur obsession mais ils ont un sens faux de l'anaphore, car en français on dit «à l'avenir» et non «dans le futur», anglicisme que j'entends avec l'accent suisse. Il est vrai que «dans le futur», le français sera une langue sans enjeu ; pour ces Anglo-Saxons, elle est, depuis longtemps, une langue pittoresque, c'est-à-dire morte.
Enfin, la dernière sentence à laquelle on ne peut échapper dans ce cauchemar climatisé que sont les Aéroports de Paris : «DANS LE FUTUR, L’EDUCATION POURRAIT ETRE VOTRE MEILLEUR INVESTISSEMENT». Ce conditionnel n’est-il pas sublime ? Attention aux masses, elles pourraient devenir sémiologues. Où a-t-on vu que des voleurs aient jamais favorisé l’éducation ?
Sur le site de HSBC, on découvre une «fondation pour la photographie» : à la place des artistes, je me sentirais mal, mais on sait que bien des créateurs ne sont plus, aujourd’hui, que des créatifs, des VRP marketés par les grandes enseignes, celles qu’on voit luire dans les aéroports sans fin.
A Roissy, comme je remarquai leur luminosité aveuglante, une bagagiste m’expliqua que les marques de luxe ont obtenu le droit d’émettre une lumière plus forte pour attirer le chaland, au détriment des consignes de sécurité, le service de fouilles des bagages se voyant plongé du coup dans une semi-pénombre. C’est beau comme du Gad Elmaleh, cet humoriste qui confirme tout le bien que j’ai déjà dit de sa profession.
Oui, je rêve que je mets HS une Banque Corrompue. HSBC et ses communicants évident le langage et notre argent dans un même mouvement de violence froide, de cynisme poli jusqu’au néant. Le rapport entre fraude fiscale, secret bancaire, et inanité du verbe crève les yeux. Les mots ne sont pas invisibles comme les transactions des menteurs. Ne pas croire que le langage peut être le lieu de la vérité, c’est se résigner à subir la langue de bois internationale, ce grand mépris pour la langue qui est la monnaie commune des hommes. La tristesse, quand on a choisi d’écrire, c’est de voir que les gens ne voient pas le langage qu’on leur met sous les yeux. Heureusement, il reste le meurtre écrit.
Cette chronique est assurée en alternance par Olivier Adam, Christine Angot, Thomas Clerc et Marie Darrieussecq.