C’était une des mesures du dernier plan cancer, présenté en janvier 2014 à François Hollande : le droit à l’oubli, à savoir l’idée que, lorsque l’on est guéri d’un cancer, il n’y a plus aucune raison qu’une compagnie d’assurances, par le biais d’un questionnaire de santé, vous demande d’y revenir pour vous faire payer une surprime. Une requête particulièrement injustifiée quand l’assuré a souffert d’un cancer pédiatrique, un enfant guéri de son cancer ayant en effet une espérance de vie au moins égale à celle d’une personne n’en ayant pas eu. Vendredi, Agnès Buzy, la directrice de l’Institut national du cancer a remis un bilan d’étape au président de la République. Où en est la promesse de ce droit à l’oubli ? Entretien avec Caroline Jay, doctorante en droit privé à l’université de Lorraine, spécialiste de cette question.
La question du droit à l’oubli a-t-elle avancé ?
Non, tout est bloqué. Aujourd’hui, les assureurs ont le droit d’avoir accès à toutes les informations sur la santé de leur client. Et ils ont le droit d’opérer une sorte de discrimination dans la proposition des contrats d’assurances en fonction de critères médicaux.
Rien n’a donc bougé en dépit des annonces présidentielles ?
La situation est ambiguë. D’un côté, on dit aux compagnies d’assurances qu’elles ont accès à toutes les informations et, en même temps, on veut supprimer certaines références au passé des assurés, par exemple sur des cancers pédiatriques. Ils ne sont pas d’accord. Les assureurs sont sur une ligne simple : donnez-nous toutes les informations et c’est nous qui ferons le choix.
Comment faire bouger les lignes ?
Peut-être avec la question de la discrimination. Actuellement, les assureurs se retranchent derrière la possibilité légale de faire le tri entre quelqu’un de malade et quelqu’un de pas malade. Là où l’abus pourrait être envisagé, c’est lorsque les assureurs continuent à établir une distinction entre quelqu’un qui n’a jamais été malade et quelqu’un de guéri. Or, dans certaines situations, et en particulier dans les cancers chez l’enfant, les statistiques sont claires ; il n’y a aucune différence de morbidité. C’est là que l’on peut s’interroger sur la possibilité de pointer une discrimination sur l’antécédent médical.
Dans les faits, c’est possible ?
De fait, les assureurs sont protégés ; ce sont des personnalités morales qui risquent, au pire, une amende. Les poursuivre devant la Cour européenne des droits de l’homme ? Cela pourrait avoir un impact négatif sur leur image. Mais c’est tout.
Comment faire confiance aux compagnies d’assurances ?
Elles ont signé, il y a dix ans, des accords cadres pour permettre aux malades du sida d’avoir accès à des prêts, mais elles ne les ont jamais appliqués. Dans le cas du VIH, c’est vrai, des conventions ont été signées, mais tout reposait sur la base du volontariat. Dans le cas du plan cancer et du droit à l’oubli, il faut noter que les assureurs n’ont pas donné leur accord, et notamment sur la question centrale de l’harmonisation du questionnaire de santé.
C’est-à-dire ?
Aujourd’hui, chaque assureur a la mainmise sur son questionnaire de santé. Celui-ci le rédige comme bon lui semble, pose les questions qu’il veut. Le plan cancer a proposé une harmonisation des questionnaires, mais les assureurs ne le souhaitent pas.
C’est la même chose en Europe ?
Les autres pays européens sont confrontés à la même situation. Les pays anglo-saxons ont, en plus, intégré des questions génétiques dans leur questionnaire, avec donc un risque prédictif d’avoir un cancer.
En France, tout le monde peut être ahuri par la longueur du questionnaire de santé qui est demandé…
Ce questionnaire est libre, toutes les questions sont possibles, elles doivent simplement être claires et précises, figurer sur un document autonome, et ne pas être d’ordre génétique. Dans ce contexte, on peut néanmoins intervenir et demander que les questions ne portent que sur l’âge adulte, ce qui exclurait de fait les cancers contractés dans l’enfance.
Vous y croyez ?
Pour ma part, plutôt que de parler de droit à l’oubli, une jolie expression mais peu claire juridiquement, on devrait insister sur le droit à l’assurance pour tous.