«Révolté» , «révulsé», «écœuré» : à droite comme à gauche, les politiques n'avaient pas de mot assez fort lundi pour qualifier le dernier dérapage de Roland Dumas, pour qui Manuel Valls serait «probablement» sous influence juive. Un «vocabulaire d'extrême droite [et des propos qui] constituent une profanation morale de notre histoire nationale», a dénoncé le Parti socialiste dans un communiqué envoyé fissa, histoire de se désolidariser le plus nettement possible de l'ancien ministre mitterrandien (lire sur Liberation.fr). Les proches de Valls sont montés au créneau les premiers, le sénateur Luc Carvounas jugeant Dumas «sous l'influence de Dieudonné», plusieurs fois condamné pour incitation à la haine raciale.
En milieu d'après-midi, le Premier ministre n'a pas répondu sur le terrain personnel, reliant les déclarations de Dumas à la nécessité de renforcer la lutte contre l'antisémitisme, «cette lèpre de l'humanité, qui demeure toujours et partout, l'expression de la barbarie», selon les mots de Robert Badinter. «L'antisémitisme, ce n'est pas une expression, ce n'est pas une petite plaisanterie, ce n'est pas le propos d'un homme qui ne fait pas honneur à la République depuis longtemps. C'est un acte grave et mon seul rôle est de mobiliser contre l'antisémitisme», a souligné Valls, après une réunion interministérielle à Matignon sur le «plan contre l'antisémitisme et le racisme», annoncé pour la fin février par François Hollande.
En première ligne sur les futures mesures, les ministères de l'Education et de l'Intérieur travaillent en lien direct avec le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, Gilles Clavreul. Pour l'instant, le projet est «très touffu et pas encore abouti», selon une source ministérielle. Fin janvier, avant d'assister au 70e anniversaire de la libération d'Auschwitz, Hollande avait lancé des pistes de travail côté justice et éducation, comme généraliser la caractérisation raciste et antisémite comme circonstance aggravante d'un délit ou sortir du droit de la presse les injures et diffamations à caractère raciste ou antisémite pour les introduire dans le droit pénal. En décembre, le gouvernement avait commencé par ériger la lutte contre l'antisémitisme et le racisme en «grande cause nationale» pour 2015.
Prévue de longue date, la réunion de lundi à Matignon a coïncidé avec la profanation du cimetière de Sarre-Union (lire ci-contre), deux jours après les attentats de Copenhague qui ont inspiré au Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, un nouvel appel à émigrer adressé aux juifs d'Europe. Reprenant mot pour mot celui qu'il avait déjà lancé après les attentats de Paris. «Je ne laisserai pas des paroles prononcées en Israël qui laisseraient penser que les juifs n'auraient plus leur place en Europe, et en France en particulier», s'est élevé François Hollande.
Manuel Valls lui, a adopté une sémantique nouvelle où il n'est plus question des juifs de France mais des Français juifs, ce qui vient insister sur leur appartenance à la République et à la communauté nationale. «Un juif qui part de France c'est un morceau de France qui s'en va», a-t-il expliqué sur RTL. La place des Français juifs, c'est la France et la preuve la plus terrible c'est que leurs cimetières sont en France.» Une semaine après les attentats de Paris, Manuel Valls s'était offert une standing ovation à l'Assemblée en proclamant qu'il ne voulait «plus que dans notre pays il y ait des juifs qui aient peur et des musulmans qui aient honte». La formule continue d'interroger au sein même du gouvernement. «Dans l'absolue nécessité de lutter contre l'antisémitisme, nous ne devons pas oublier les difficultés des Français musulmans », souligne une ministre pour qui la présence de Hollande et Valls à la grande synagogue de Paris aux côtés de Nétanyahou au soir de la manifestation géante du 11 janvier n'a pour l'instant pas eu d'équivalent côté musulman.