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Libération
Récit

Dominique Strauss-Kahn relax après les réquisitions

Le procureur de Lille a démonté point par point les éléments retenus par les juges contre l’ex-patron du FMI, et n’a requis aucune peine.
L'ancien directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn se rendant au tribunal de Lille, le 17 février 2015. (Photo Pascal Rossignol. Reuters)
publié le 17 février 2015 à 19h56

Est-ce un réquisitoire, est-ce une plaidoirie ? Réquisitoire est bien l’intitulé exact de l’exercice, les mots sont prononcés par le procureur de la République de Lille, qui s’exprime sur les peines qu’il réclame. Plaidoirie semblerait pourtant un terme plus juste, tant jamais personne, depuis le début du procès du Carlton, n’avait à ce point défendu Dominique Strauss-Kahn - pas même ses avocats, ceux-ci s’étant astreints à un silence respectueux du timing judiciaire.

Debout, ses notes posées devant lui sur un petit pupitre amovible, Frédéric Fèvre s'est lancé : «Un homme puissant est-il nécessairement coupable ? Le rôle du ministère public est-il seulement de soutenir l'accusation ? Je ne crois pas. Nous sommes au service de la vérité judiciaire.» Il est 14 h 45 dans la salle d'audience du tribunal de Lille, et la relaxe «pure et simple» qui va être demandée trente minutes plus tard au bénéfice de l'ancien dirigeant du Fonds monétaire international est d'emblée au bout des lèvres du procureur.

Revanche. Contrairement aux autres prévenus (contre lesquels ont été requises des peines toutes clémentes, allant d'un an de prison ferme pour Dodo la Saumure à des amendes de 1 500 euros), Dominique Strauss-Kahn n'aura le droit à aucun commentaire désapprobateur du parquet sur son comportement. Ainsi, ses amis Fabrice Paszkowski et David Roquet, contre chacun desquels ont été requis deux ans de prison avec sursis et 20 000 euros d'amende, ont été qualifiés de «prêts à tout» pour satisfaire leur «ambition», raillés sur leur attirance pour le pouvoir et leur servitude au puissant DSK. Mais lui, le puissant servi, à l'inverse, a le droit à une envolée de disculpations puissamment habitée. «Dominique Strauss-Kahn était-il l'organisateur de ces rencontres ? La réponse est non. A-t-il tiré profit de la prostitution ? La réponse est non. A-t-il payé des prostituées ? La réponse est non. A-t-il abrité la prostitution d'autrui ? La réponse est non», martèle le procureur, soudain possédé d'une verve triomphante.

Dans la salle, des yeux s’écarquillent. Si la demande de relaxe semblait prévisible et judiciairement juste, personne ne s’attendait à une telle «défense» enthousiaste de DSK par le parquet.

Revient alors en mémoire le désaveu vécu par deux fois par le ministère public lors de l’instruction. Dans son réquisitoire définitif de 92 pages, Frédéric Fèvre avait en effet déjà demandé la relaxe. Les juges d’instruction n’en avaient pas tenu compte, et prononcé le renvoi. Appel avait été alors interjeté par le principal intéressé et, une nouvelle fois, les magistrats de la cour d’appel avaient décidé, contre l’avis du parquet, que DSK devrait être jugé.

Assisterait-on, aujourd'hui, à une forme de revanche judiciaire ou, en tout cas, de reprise de main ? Le ton du procureur redescend un instant. Il doit démonter un par un les éléments retenus par les juges. Les SMS où DSK réclame à son ami Paszkowski de le rejoindre avec du «matériel» ou lui demande qui il aura «dans [ses] bagages», pour parler des femmes ? «Certes, on est bien loin de Ronsard et de l'amour courtois, balaye le procureur, mais est-ce que cela fait de lui un proxénète ? Non.»

La garçonnière de DSK, dont il a caché être le locataire tout au long de l'instruction ? «En France, nombreux sont les hommes politiques qui ont eu à souffrir d'atteintes à leur vie privée. En pleine procédure de divorce, il ne voulait pas que sa femme apprenne qu'il voyait d'autres femmes. Cela lui aurait nui dans le divorce sur le plan civil, on peut le comprendre.»

Les témoignages des trois prostituées racontant des scènes de sodomie forcée, où elles pleuraient et manifestaient leur douleur et leur désaccord ? «J'ai été troublé par l'évocation récurrente des pratiques sexuelles de Dominique Strauss-Kahn, dit le procureur. C'est le seul prévenu pour lequel on a poussé aussi loin le souci du détail. Ce qui a pu être perçu par certaines femmes comme peu agréable et qualifié de rude par M. Strauss-Kahn lui-même n'a pas été perçu comme aussi désagréable par d'autres. Dans ce domaine, les perceptions peuvent être très différentes.»

«Impact». Lors de l'instruction, une enquête pour viol avait été ouverte, puis classée sans suites. Le procureur le rappelle. «Aucune charge n'a été retenue contre Dominique Strauss-Kahn pour des faits de viol ou de violence, alors ne nous trompons pas de débat.»

A la fin de ces trente minutes ferventes, une suspension d'audience est prononcée. Les avocats des prévenus sourient, ceux des parties civiles ont l'air un peu perdus. «Demander la relaxe, oui, mais dans une telle volonté de défendre à tout prix l'innocence de DSK, on a l'impression que l'on a perdu de vue toutes les questions sociétales soulevées depuis deux semaines par ce procès, réfléchit Emmanuel Daoud, avocat de l'association du Nid. Je me demande quel impact pédagogique cela peut avoir vis-à-vis du grand public, un réquisitoire pareil.»