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Libération
à la barre

Carlton : «La relaxe sera juste, et belle»

Affaire du Carlton, le procèsdossier
Les avocats de DSK ont dénoncé mercredi les dérives de l'instruction et la médiatisation du procès.
Richard Malka, l'un des trois avocats de Dominique Strauss-Kahn (Dessin Benoît Peyrucq. AFP)
publié le 18 février 2015 à 16h25

Ils l'ont reconnu, tous les trois. Maintenant que le parquet a requis avec ferveur et conviction la relaxe «pure et simple» de leur client, maintenant que l'avocat d'une association et celui de quatre anciennes prostituées ont annoncé qu'ils souhaitaient retirer leur constitution de partie civile contre Dominique Strauss-Kahn, les trois avocats de l'ex-directeur général pourraient presque «se taire».

Mais ils ont plaidé mercredi matin. Parce que le silence, ils l'ont déjà gardé tout au long de ces deux semaines et demie de procès. Parce que de voir enfin reconnu à la quasi-unanimité ce qu'ils ont martelé tout au long de la procédure – que l'infraction de proxénétisme contre leur client n'était en aucun cas constituée – leur commande de souligner à nouveau les dérives de l'instruction. Leur donne envie aussi, notamment pour Me Frédérique Baulieu, qui parle la première et s'attaque aux témoignages des ex-prostituées, de plaider pour l'image de leur client.

«Jade réinvente tout, Monsieur le président»

«J'ai entendu "Sardanapale", "le Minotaure", "le mépris", "c'est un menteur", "il ne s'excuse même pas"… démarre la pénaliste. Mais de quoi devrait-il s'excuser ?» Elle reprend les témoignages des anciennes prostituées. «Jade et ses certitudes, Jade et sa colère, Jade et sa rédemption, Jade et sa croisade», égrène-t-elle. Sans hésiter, l'avocate se replonge dans les scènes de partouze. Pour démontrer qu'il ne pouvait pas y avoir huit corps de femmes sur celui de DSK, comme l'a dit Jade, mais maximum six. Pour raconter que des témoignages de couples échangistes parlent de «relations normales» et non pas de «mélange». Pour préciser que Jade a bu un café après la sodomie qu'elle a dit avoir subi de force. «Jade réinvente tout, Monsieur le président», conclut l'avocate d'un ton accablé. Elle passe à M. : «Une vie fracassée. Mais pas par Dominique Strauss-Kahn !» Pour Frédérique Baulieu, les anciennes prostituées sont des victimes «de la médiatisation et des questions posées lors de l'instruction». Elle évoque ensuite les SMS où DSK parle de «matériel» à propos des femmes – «des SMS instrumentalisés, utilisés de façon déloyale !» –, l'appartement de l'avenue d'Iéna à Paris, «qui ne fait en rien de lui un proxénète», puis conclut : «Dans cette débauche de voyeurisme, dans cette débauche de leçons de vertu, moi, j'ai été fière de défendre Dominique Strauss-Kahn, parce qu'il a tenu, et qu'il s'est tenu dans tous les vents mauvais. Ce que je voulais dire, c'est que la relaxe que je vous demande, elle sera juste, et belle.»

Richard Malka, qui lui succède, est plus sobre, plus à propos aussi. Il se concentre sur les excès de l'instruction et les violations du secret qui ont «transformé 66 millions de Français en voyeurs». Pourquoi, demande le pénaliste, «a-t-on fait à ce point fausse route pour vouloir à tout prix définir monsieur Strauss-Kahn comme un proxénète» ? L'avocat a sa petite idée, qui tient au statut du prévenu. «C'est un dossier où un homme est jugé pour ce qu'il est, pas pour ce qu'il fait. Il est sa position sociale. Il est ontologiquement instigateur du fait de sa position sociale. Sa position sociale est transformée en élément constitutif du délit de proxénétisme.»

Il revient sur le comportement sexuel de son client, décrit comme «rude» par ce dernier, comme «brutal», voire «violent» par les ex-prostituées. Pas pour en débattre et tenter de minimiser, Richard Malka sait éviter cet écueil-là. Mais pour rappeler la torsion dangereuse de raisonnement faite par les juges d'instruction sur ce point : si DSK impose des sodomies sans préliminaires et sans demander d'accord, c'est, d'après les magistrats instructeurs, qu'il se sait en présence de prostituées. «Et on nous oppose à l'inverse des clubs libertins où tout serait doux, tendre, musique, coupes de champagne. C'est faux ! Les clubs libertins, c'est pas "cui cui les petits oiseaux" !»

«La loi, la loi, la loi, c’est tout ce qui compte»

Henri Leclerc lui succède à la barre et ne s'embarrasse pas de détours. «Bien sûr que je suis convaincu que vous allez le relaxer», démarre-t-il. Evoquant dans la foulée les trois années de «fuites du dossier» : «La publication des éléments les plus salaces, les plus crus. Mais qui a fait sortir ces éléments tronqués ? Car je ne peux pas croire que ce soit les journalistes qui aient choisi ces passages-là.» Face à ces violations du secret, le ténor explique que la défense de DSK est devenue inaudible : «Une sodomie bien traitée, c'est quand même plus vendeur qu'une déclaration d'innocence.»

Il reprend ensuite un des grands thèmes de l'audience, l'opposition du droit à la morale. «La morale, chacun la sienne. La vertu, ça se pratique, ça ne se commande pas. La loi, la loi, la loi, c'est tout ce qui compte. On a le droit de faire tout ce qui n'est pas interdit. Alors qu'est-ce que ces sourires d'indignation, ces gens qui disent "Regardez votre client ce qu'il fait", et qui n'excluent pas, quand ils ont bu un peu trop de vin, d'en reparler avec des rires gras ?»

Henri Leclerc termine sa plaidoirie en évoquant la douleur de son client. «Nous savions bien que le dossier s'écroulerait. Mais il a fallu en arriver là. Voir les pires choses sur Dominique Strauss-Kahn affirmées. Nous avons vu les larmes visibles. Mais il y a aussi les larmes rentrées.»

Ce mercredi après-midi et jusqu’à vendredi soir vont maintenant plaider les avocats des treize autres prévenus. La décision du tribunal devrait ensuite être mise en délibéré à une date postérieure.