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Libération
Récit

Banier garni au procès Bettencourt

L'affaire Bettencourtdossier
La peine maximale est requise contre le photographe accusé d’abus de faiblesse envers l’héritière de L’Oréal.
François­-Marie Banier et son avocat, à l’ouverture du procès le 26 janvier. (Photo Rodolphe Escher)
publié le 20 février 2015 à 19h46

L'affaire Bettencourt se résume à une affaire Banier, du moins aux yeux du parquet de Bordeaux, qui a requis vendredi trois ans de prison ferme contre le photographe mondain pour abus de faiblesse de la femme la plus riche de France (le maximum prévu par la loi). Contre le compagnon du photographe, Martin d'Orgeval, qui n'a bénéficié qu'à titre accessoire des largesses de l'héritière de L'Oréal, le parquet a requis trois ans, dont dix-huit mois ferme. Peine identique pour Patrice de Maistre, sévère dans la mesure où le grand argentier de Liliane Bettencourt n'a profité d'elle que pour moins de 10 millions d'euros (contre plusieurs centaines dans le cas de François-Marie Banier). Pour parfaire le tableau, un an de prison avec sursis a été requis contre l'impavide notaire Jean-Michel Normand, poursuivi pour complicité d'abus de faiblesse. Relaxe requise pour les autres. La veille, la famille Bettencourt avait tenté d'élargir le spectre en tant que partie civile, visant principalement Pascal Wilhelm, avocat multicarte ayant réussi à se faire nommer mandataire puis exécuteur testamentaire fin 2010, et enfin gestionnaire de la fortune du clan. «D'une particulière duplicité, il a le mensonge dans la peau», plaide ainsi Me Arnaud Dupin.

«Illusion». «Nous portons la même robe mais n'exerçons pas le même métier», renchérit Me Benoît Ducos-Ader. Leur confrère s'était illustré en faisant investir 143 millions d'euros à une octogénaire ayant perdu ses facultés dans le holding de Stéphane Courbit, dont il était également le défenseur. Non seulement ce placement n'a rien rapporté à ce jour, mais il devait être bloqué pour une durée de huit ans. Ils réclament à MWilhelm le remboursement de ses confortables honoraires - pas moins de 6 millions d'euros. Le procureur Aldiget dit «comprendre» le sentiment de la partie civile, qui s'estime «trahie». Mais estime que le cas de MWilhelm relève davantage d'une procédure disciplinaire que de la justice pénale - bien que l'Ordre des avocats l'ait préalablement blanchi de tout conflit d'intérêts, évoquant une simple «confusion d'intérêts». Parquet et plaignants se rejoignent pour laver Stéphane Courbit de tout soupçon, au motif qu'il n'était pas au courant de la vulnérabilité de la milliardaire, qui «pouvait faire illusion dans un cadre mondain ou caritatif».

Le cas d'Eric Woerth est rapidement évacué, tant sont faibles les charges contre l'ancien trésorier de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. En dépit de nombreuses «coïncidences» (retraits d'espèces précédant un rendez-vous dans un café), le proc dit «chercher encore la preuve d'une remise de fonds». Après le non-lieu en faveur de Sarkozy, la relaxe de Woerth paraît probable. L'examen de son cas aura néanmoins permis au tribunal de se divertir sur la légende familiale, arrosant divers partis politiques depuis un demi-siècle - mais c'était le rôle d'André Bettencourt, aujourd'hui décédé, pas de Liliane.

Haro donc sur François-Marie Banier, affublé de divers noms d'oiseaux : manipulateur, gourou, vampire, renard… Le parquet loue sa «capacité de manipulation hors du commun», cite un exemple de flagornerie : «Merci de ces moments dont chaque jour me fait découvrir en vous une chaleur, une poésie.» Suivi d'un exemple de manipulation, «comble de la perversité» selon l'accusation : «Vous me demandez ce que je serais devenu si je ne vous avais pas connue. Je vous retourne la question : que seriez-vous devenue si vous ne m'aviez pas rencontré ?»

Cordon. Les largesses ont débuté en un temps ou Liliane Bettencourt avait toute sa tête. Dès la fin des années 90, elle sponsorisait François-Marie Banier via L'Oréal à raison de 600 000 euros par an, le photographe la remerciant de pouvoir ainsi «travailler sans souci de plaire». Puis viendront les donations, pour un total frôlant le milliard, même si la prévention ne vise que la moitié, à partir de septembre 2006, date de la première hospitalisation de la milliardaire de plus en plus généreuse. Le point de départ fait débat, querelle médicale à l'appui. L'accusation reproche à son entourage d'avoir dressé autour d'elle un cordon qu'on n'oserait qualifier de sanitaire, puisqu'il s'agissait de refuser toute expertise approfondie, seuls quelques médecins amis attestant à la bonne franquette de ses pleines capacités. «Ils ont gagné trois ans», résume le procureur, campant François-Marie Banier en «marionnettiste tirant toutes les ficelles», tour à tour conseiller financier, juridique et médical. A-t-il poussé le bouchon jusqu'à vouloir se faire adopter ? Il nie, mais a écrit un jour dans ses carnets saisis par la justice : «C'est à 80 ans que tout cela va me tomber sur la tête. Elle rit de me voir vieillard couvert d'or. Pas moi.»