La femme voilée fait décidément un retour en force dans les préoccupations des politiques. Après la proposition du député UMP des Alpes-Maritimes Eric Ciotti la semaine dernière d'interdire le voile à l'université, voilà les radicaux de gauche qui ressortent du placard une proposition de loi vieille de trois ans visant à imposer la neutralité aux employés des crèches privées et aux nounous exerçant à leur domicile.
Cette proposition adoptée par le Sénat à la fin du quinquennat Sarkozy avait déclenché une polémique assez vive. Car, si la question du port du voile dans les crèches privées subventionnées par des fonds publics est l'objet d'un réel débat juridique, en témoigne les décisions de justice successives et contradictoires de l'affaire de la crèche Baby-Loup, la question des nounous, sous contrat de droit privé avec les parents (qui choisissent leurs employés), était un non-sujet. Jusqu'à ce que la sénatrice radicale de Haute-Garonne Françoise Laborde s'en empare en 2011 et réussisse à faire adopter un projet de loi sur le sujet en janvier 2012.
Bilan : incompréhension des associations d'assistantes maternelles, colère des représentants de la communauté musulmane et d'une partie des mouvements de lutte contre le racisme, qui dénoncent une nouvelle stigmatisation des musulmans, et grosse gêne chez les socialistes. Arrivée au pouvoir, la majorité de gauche s'est empressée d'enterrer la proposition de loi, évitant soigneusement de l'inscrire à l'agenda parlementaire de l'Assemblée nationale. Mais l'obstination des radicaux sur la laïcité, et particulièrement sur les questions de voile, aura eu raison de la prudence socialiste. Profitant de la niche parlementaire qui permet à chaque groupe d'inscrire des propositions de loi sans qu'elles aient à passer par la navette Sénat-Assemblée, les radicaux viennent en effet de ressortir discrètement leur texte du placard.
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Il sera examiné en commission des lois le 4 mars, puis en séance publique la semaine suivante, le 12 mars. La sénatrice Françoise Laborde, auteur du texte, se félicite que son parti soit «celui qui porte ces questions de laïcité», tout en reconnaissant qu'il y a «peut-être un risque de mettre de l'huile sur le feu à l'heure où l'on veut éviter la stigmatisation des musulmans». En effet.
La proposition de loi prévoit qu'à défaut d'autorisation spéciale des parents «stipulée» dans le contrat de travail, les nounous exerçant chez elles soient tenues à une obligation de neutralité religieuse. Pas de prosélytisme. Pas de signes visibles, c'est-à-dire pas de voile. Il suffit de se promener dans les squares et les sorties d'écoles des grandes agglomérations, où nombre de nounous portent le foulard, pour mesurer les conséquences sociales et politiques d'une telle disposition.
Alain Tourret, rapporteur du texte à l'Assemblée, se veut rassurant. «Il n'y a pas volonté de faire une laïcité agressive». Mais il concède que le 3ème volet de la proposition, celui qui concerne les assistantes maternelles (les deux premiers concernant les crèches et les centres de loisirs), n'est peut-être pas le plus opportun. Reconnaissant même "un risque d'anticonstitutionnalité" dans le texte qu'il propose.