Les Associations familiales catholiques (AFC) ont annoncé qu'elles attaqueraient en justice Gleeden, le site de rencontres spécialisé dans les relations extraconjugales. Plus de 20 000 signatures ont été collectées pour demander le retrait des publicités scandaleuses de cette entreprise florissante qui recense un million d'adhérents en France (Libération du 20 février). Selon ces associations, le site ferait la promotion publique de la duplicité et du mensonge, et pousserait à la violation de la loi obligeant les époux à être fidèles.
Aussi ridicule puisse-t-elle paraître à première vue, cette protestation souligne un problème crucial. Elle nous rappelle que dans un modèle conjugal comme le nôtre, fondé à quelques nuances près sur le sexe, l’adultère est plus menaçant qu’il ne l’était à l’époque du mariage bourgeois. Si l’adultère blesse à ce point le partenaire «trompé», c’est parce qu’il est interprété comme le révélateur d’une crise du couple. Il montre que le conjoint adultère est, sciemment ou inconsciemment, à la recherche d’un nouveau partenaire avec qui la passion sexuelle s’articulera aux charmes de la vie à deux. Celui-ci finira par former un nouveau couple, afin de vivre conformément aux idéaux amoureux de notre société. Or, comme il est impossible de maintenir l’attirance sexuelle dans la durée, ce système ne peut que susciter une divortialité grandissante. On dira que cela n’est pas grave. Les millions de personnes confrontées à ce genre d’expériences n’envisagent pourtant pas les choses de cette façon. En effet, les séparations ont des conséquences désastreuses chez les individus pour qui le remariage est plus difficile - notamment chez les hommes aux faibles revenus et les femmes avec des enfants en bas âge.
Que devrait faire un bon gouvernement pour que le couple devienne une structure stable ? Il semblerait qu’il n’y ait que deux voies possibles. La première : épouser les théories des associations de familles catholiques pour que la vie sexuelle soit moins «libérée». Interdire la pornographie, la prostitution, l’échangisme, les sex-shops afin que les désirs soient moins exacerbés. Et inculquer une horreur de l’adultère au sein de toute la population, jeunes et vieux confondus. Il s’agit ainsi de s’engager dans la voie du plus strict puritanisme comme c’est le cas aux Etats-Unis, où les personnes adultères sont vues comme des malades à faire soigner.
La deuxième voie est beaucoup plus novatrice et sans doute plus amusante. Elle consiste à considérer le sexe comme une activité sans grande importance. Cela ne veut pas dire qu’elle n’apporterait pas d’émotions fortes, mais plutôt qu’elle n’aurait aucune influence sur nos relations aux autres. Ce n’est pas l’attirance sexuelle qui ferait que nous cohabitons et engendrons des enfants, mais d’autres affinités plus profondes et durables. Dans un univers conjugal rebâti ainsi, l’adultère n’existerait plus. Le sexe avec d’autres serait aussi insignifiant que le fait de déjeuner, papoter ou travailler avec d’autres. En multipliant les partenaires sexuels, on ne se fixerait sur aucun en particulier. Le sexe ne serait plus un enjeu vital dans nos rapports aux autres : il deviendrait un plaisir mineur par rapport à la tendresse, l’attachement et l’intérêt que certaines personnes peuvent susciter chez nous. C’est donc en créant une société hyperdébauchée que l’on pourra désamorcer les effets désastreux que provoque aujourd’hui le sexe et susciter des amours durables.
Si nous tenons compte des paradoxes et des conséquences terribles du système actuel - qui engendre des sites comme Gleeden et des plaintes de l'AFC, mais surtout des millions de situations de solitude -, nous serons sommés de choisir entre la première et la deuxième voie, le puritanisme ou la débauche. Quel que soit notre choix, une alternative certainement plus sage que l'univers conjugal d'aujourd'hui.