Une fois de plus, la gauche vient de se prendre les pieds dans le voile islamique, bout de tissu décidément encombrant et matière assurément inflammable. Ce jeudi devait être discutée à l’Assemblée une proposition de loi dite «Baby- Loup» prévoyant l’obligation de neutralité pour les employés des crèches et centres de loisirs privés, ainsi que pour les assistantes maternelles. Un texte des radicaux de gauche vieux de trois ans, exhumé après les attentats de janvier et que le groupe PS envisageait de soutenir, au moins en partie (car la proposition, les députés en convenaient, est juridiquement plus que bancale). On en était là la semaine dernière lorsque le texte a été présenté en commission des lois. Mais mardi soir, demi-tour toute, il est renvoyé… au 11 mai.
Calcul. Pas enterré donc, mais repoussé. Les socialistes ne souhaitant pas que la discussion sur le sujet intervienne en pleine campagne des départementales, mal engagée. Grosse gêne en effet à soutenir une proposition applaudie des deux mains par la droite dure tendance Eric Ciotti et par le FN (Gilbert Collard a déposé une proposition de loi allant dans le même sens). Cependant, derrière le calcul strictement électoraliste, transparaît surtout la totale incapacité de la gauche à avoir une position claire et sereine sur les questions liées à la laïcité.
Après l’affaire de la crèche Baby-Loup, François Hollande avait pourtant cherché à clarifier le débat en créant un Observatoire de la laïcité, dont il avait confié la présidence au très posé Jean-Louis Bianco. Première mission : réfléchir à l’opportunité de légiférer sur la neutralité dans les structures privées en charge de la petite enfance, c’est-à-dire les crèches, dont une bonne partie sont associatives et ne sont donc pas soumises à l’obligation de neutralité du service public. Réponse sans appel de l’Observatoire, en octobre 2013 : une loi n’est pas nécessaire, le droit actuel permet déjà d’encadrer le fait religieux dans une entreprise privée. L’avis avait été voté par une large majorité (17 voix pour, 3 contre, 1 abstention). Parallèlement, la Commission consultative des droits de l’homme et le Conseil économique, social et environnemental, prenaient des positions similaires. Bianco pensait le sujet enterré.
L'ancien député socialiste a donc peu apprécié de voir, la semaine dernière, ses camarades soutenir une proposition de loi ressortant le voile en crèche. Et l'a fait savoir. Aux députés comme au gouvernement. A Libération, il explique : «Cette proposition est contraire à la Constitution, mais surtout contraire au principe de laïcité qu'elle prétend défendre.» Il pointe un texte «dangereux», «aux conséquences politiques désastreuses». «On est dans une laïcité d'interdiction, une laïcité antimusulmans.» L'affront pour l'Observatoire est d'autant plus difficile à digérer qu'il est le fruit, selon Bianco, de calculs politiques peu glorieux : «Le gouvernement a des soucis de majorité et souhaite faire plaisir aux radicaux, voilà pourquoi on s'est retrouvé avec cette proposition.»
«Fichu». C'est pourtant ce même gouvernement, via Matignon, qui a fini par trancher mardi devant le pataquès politique annoncé en imposant le report de la proposition de loi au mois de mai. Pour Philippe Doucet, député du Val-d'Oise en charge de la laïcité pour le groupe socialiste, le problème n'est «ni celui des élections ni celui du FN», mais «celui de l'incapacité de la gauche à dégager une ligne claire sur la laïcité».
Les discussions la semaine dernière en commission des lois ont constitué une belle illustration de grand n'importe quoi. Entre un Patrick Mennucci (dans le camp des contre) racontant que sa grand-mère portait elle aussi le«fichu» sur la tête et un Alain Tourret (PRG et rapporteur de la proposition de loi) qui veut «protéger les enfants de la montée des intégrismes». Pour Doucet, le PS «a vocation à porter un vrai discours sur la laïcité». Il regrette que, faute d'accord, ce sujet pourtant «ADN du Parti socialiste» ait été laissé à d'autres et que le PS soit réduit soit au suivisme, soit à une position défensive. Il pointe trois positions chez ses camarades : «Celle qui fait de la laïcité un combat contre la religion», «celle qui voit derrière chaque mesure d'application de la laïcité une stigmatisation des musulmans» et la troisième, «médiane», dont il se revendique. Mercredi, il a donc envoyé une lettre aux députés PS pour leur proposer de réfléchir à ces questions. Avec l'idée d'élaborer une «Charte de la laïcité». En gros, adapter la loi de 1905 à 2015, en tenant compte des évolutions de la société : sa composante musulmane, l'existence de crèches, le besoin de carrés confessionnels dans les cimetières… L'idée est aussi de cesser de réduire la question de la laïcité au voile islamique. «Il faut sortir de la réflexion par le petit bout de la lorgnette, il faut un consensus par le haut», plaide Doucet. En attendant la prise de hauteur, les députés PS vont devoir dans deux mois se repencher sur la patate chaude de la proposition Baby-Loup.