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Libération

A Montfermeil, les fidèles veulent prier au grand jour

A l’étroit dans un pavillon, la communauté musulmane récolte des financements français et étrangers pour construire la nouvelle mosquée.
La mosquée Essalam de Montfermeil, le 3 mars. (Photo Albert Facelly)
publié le 17 mars 2015 à 19h46

La mosquée de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) loge depuis près de vingt ans dans un grand pavillon défraîchi, au bord d’une quatre-voies. Toisé à quelques mètres par le clocher de l’église orthodoxe de la ville, l’église Saint-Marie-Mère-de-Dieu, construite à la fin des années 90, au moment même où les musulmans achetaient le pavillon de l’avenue Jean-Jaurès. Le contraste est saisissant, entre cette église qui ressemble à une église, et cette mosquée qui ne ressemble qu’à un pavillon.

«Les chrétiens syriaques orthodoxes, les chaldéens ou les évangélistes parviennent très bien à financer eux-mêmes leurs lieux de culte sans rien demander à personne», persifle le maire de Montfermeil, Xavier Lemoine (UMP). Très droitiste et surtout très catholique, il aime à répéter que sur la demi-douzaine de lieux de culte de sa ville, tous, à l'exception de la vieille église du XIIe siècle, ont été construits après la loi de 1905, donc sans aides publiques. Pour lui, il n'y a donc pas de problème avec la loi mais… avec les musulmans. «Je ne vois pas pourquoi la communauté musulmane aurait plus de mal que la communauté catholique, surtout quand on voit le produit des quêtes chaque vendredi.» Xavier Lemoine n'est pas capable de dire combien ça représente, mais ça ne l'empêche de penser et de répéter que cela aurait pu «financer leur mosquée depuis longtemps». Voilà pour l'ambiance.

Dans cette ville de 26 000 habitants de la banlieue est de Paris, où les musulmans représentent une composante importante de la population, le maire n'a jamais cherché à favoriser la construction d'une mosquée. Au contraire. Farid Kachour, secrétaire général de l'association gérant le lieu (Association socioculturelle et éducative de Montfermeil), regrette que l'Etat ne s'empare pas du sujet : «En confiant ce sujet aux communes, ces dernières peuvent, par leur pouvoir en matière d'urbanisme et de sécurité, s'opposer à tout projet. On le voit ici, on le voit dans les villes gérées par le Front national.»

Plastique. Pour contourner les freins politiques, chacun sa méthode. Le pavillon de l'avenue Jean-Jaurès avait été acheté pour 800 000 francs en 1998 par un particulier qui l'a ensuite rétrocédé à l'association. Une astuce pour éviter que la municipalité ne préempte le bien, un classique des maires opposés aux constructions de mosquées. Très vite, le pavillon s'avérera trop petit. Tous les permis de construire pour les demandes d'extension seront refusés. Dans la cour de la mosquée-pavillon, il y a désormais des chapiteaux en plastique blanc afin d'accueillir le millier de fidèles pour la prière du vendredi. L'extension en dur construite quelques années plus tôt a dû être détruite, elle n'était pas aux normes. Après des années de contentieux pour une fenêtre obturée, un escalier pas assez large, des prières qui débordaient dans la rue, les musulmans de Montfermeil ont décidé de passer à autre chose.

Comme dans de nombreuses communes en France, ils ont décidé de bâtir une vraie mosquée, qui fasse aussi office de centre culturel pour la communauté. En mai 2013, ils ont acheté 2 000 m2 de terrain avenue des Hortensias, à quelques centaines de mètres de leur pavillon. Cette fois, ils ont décidé «d'annoncer directement la couleur», en informant d'emblée sur leur projet de construction de mosquée. Six mois plus tard, ils ont obtenu le permis de construire. Les premiers bulldozers devraient arriver en mai.

Sur la maquette en 3D qui tourne sur l'écran de Farid Karouch, on voit un vaste bâtiment carré, à l'architecture contemporaine, surmonté d'un dôme et d'un minaret. «Il fallait que cela ressemble à une mosquée sans être bling-bling.» Un projet ambitieux à 3,6 millions d'euros. Farid Kachour sourit en faisant sa visite virtuelle.

Crowdfunding. Comme tous les musulmans de cette commune et des communes environnantes, il a connu la prière en caves ou en appartements des années durant. Il parle encore de «la prière aux odeurs d'égout». L'islam de son enfance était un islam caché et précaire. «Pendant longtemps, nos parents ne pensaient pas rester en France. Ce qui explique aussi que la communauté musulmane ne se soit pas organisée. Quand ils ont compris que leurs enfants, français, resteraient ici, les choses ont changé.» Pour lui, la mosquée est «un projet d'avenir», «un projet de Français qui se projettent dans la société française». Il explique qu'il n'aime pas le mot «intégration», mais que c'est de cela dont il parle.

L’équipe qui gère le projet de la future mosquée est, comme lui, essentiellement composée de quadras, deuxième et troisième générations, les nouvelles classes moyennes et supérieures de Montfermeil. Celles qui ont quitté les cités HLM pour s’installer dans les quartiers pavillonnaires. Ils gèrent le projet avec des méthodes loin du bricolage des mosquées à papa ou des mosquées sous tutelle des pays d’origine.

Beaucoup sont cadres ou chefs d'entreprise dans la banque ou le BTP. La trentaine de bénévoles se sont divisés le travail en trois commissions, en fonction des compétences et des réseaux professionnels de chacun : la commission cultuelle (qui comprend l'imam), la commission quêtes et finances et la commission travaux. Très vite, ils ont décidé de ne pas aller faire de quêtes sur les marchés, préférant le crowdfunding via leur site et les réseaux sociaux. «Si on veut marquer sa différenciation, il faut travailler avec des méthodes qui nous correspondent, qui soient modernes et transparentes», défend Farid Kachour. Dans la mosquée actuelle, des affiches sont placardées avec la maquette de la future mosquée et cette inscription : «Offrez-vous un palais au paradis pour 1 500 euros.»

Qatar. Des plaquettes assez luxes ont également été éditées à l'attention d'investisseurs extérieurs. Elles vantent les mesures de défiscalisation de 66 % appliquées aux dons. L'association a déjà récolté plus de 600 000 euros, ce qui a permis d'acheter le terrain. Avec des gens qui donnent de 50 à 1 500 euros. Le gros des dons arrive pendant le ramadan, mais le compte n'y est pas. «Montfermeil, ce n'est pas Neuilly. Ce n'est pas facile de financer des projets comme celui-ci», explique Farid Kachour. Après avoir pris contact avec les consuls des différents «pays d'origine», les membres de l'association envisagent d'aller voir le Qatar. Sans aucun complexe. «Les financements qataris ne posent pas de problème quand il s'agit d'un club de foot, je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas financer une mosquée», plaide Farid Kachour. Le responsable insiste : «Notre seule exigence est que ces financements soient sans conditions.» Pas question pour lui de changer d'imam ou de revoir l'esprit du projet. «On ne peut pas faire comme si les musulmans n'étaient pas une composante de la société française. On ne peut pas non plus laisser des gens s'entasser dans des locaux ou prier dans la rue sous prétexte qu'un maire n'a pas envie d'avoir une mosquée sur sa commune.» Pour lui, «c'est à cause de la non-résolution de ces problèmes que les musulmans deviennent en permanence un problème dans le débat public».