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Libération
Récit

Mémorial éphémère pour vies errantes

En 2014, au moins 480 adultes et enfants sans abri sont décédés en France. Le collectif les Morts de la rue a organisé, mardi à Paris, une cérémonie en leur hommage.
Place de la République, à l’initiative du collectif les Morts dans la rue. (Photo Julien Mignot)
publié le 17 mars 2015 à 19h56

Sans domicile fixe ? Trente-trois ans d'espérance de vie en moins. Les sans-abri, meurent «en moyenne à l'âge de 49 ans», quand l'espérance de vie de l'ensemble de la population «est de 82 ans», souligne le collectif les Morts de la rue qui organisait, mardi, place de la République à Paris, une cérémonie d'hommage aux 480 SDF décédés en 2014 en France, dont l'association a eu connaissance.

A intervalles d'une demi-heure, leurs noms ont été lus, devant un mémorial éphémère constitué de plusieurs centaines de boîtes blanches, symbolisant des sépultures sur lesquelles figurent les noms des défunts : «Lee James dit Jimmy, 48 ans, mort à Paris 7e», «Natalia, 19 ans, morte à Bordeaux», «Pierette Drouet, 61 ans, morte à Rouen». Parfois, l'identité des personnes retrouvées sans vie dans des espaces publics n'a pas pu être établie. Ainsi, certaines inscriptions apposées sur ces tombes éphémères signalent «un homme, 30 ans environ, mort le 1er décembre 2014 à Saint-Inglevert», ou encore «un homme, 40 ans, environ, mort le 7 février 2015». Dans ce mémorial, il y a aussi un carré de tombes de personnes dont le collectif a appris le décès «longtemps après». Parmi eux, cinq enfants de 2 à 7 ans, morts en 2013, filles ou fils de parents sans toit. «Un enfant, 2 ans, mort à Villeneuve-d'Ascq», «un enfant, 7 ans, mort à Croix».

Rose. La voix de Serge Gainsbourg retentit, place de la République, comme une chanson d'adieu, «Je suis venu te dire que je m'en vais». Des anonymes cheminent en silence entre les rangées de boîtes blanches, en signe de recueillement. Nombre d'entre eux (bénévoles associatifs, travailleurs sociaux…) côtoient régulièrement des SDF. D'autres non, comme Hortense, 21 ans, une rose à la main. En venant à cette cérémonie, elle pensait trouver des tombes de personnes «ayant l'âge de [son] père aujourd'hui décédé». Mais en marchant, elle marque une pause face à la sépulture d'un garçon âgé de 20 ans, «plus jeune» qu'elle. C'est sa boîte qu'elle choisit de fleurir.

«Questions». Plus loin, Marie-Olga a les larmes aux yeux lorsqu'elle se met à parler de ces disparus. Bénévole aux Restos du cœur, elle s'imagine qu'elle «pourrait très bien découvrir», sur l'une de ces tombes, le nom de quelqu'un qu'elle connaît. «Aux Restos, on reçoit des gens vivant dans des conditions impossibles, et un jour, on ne les croise plus. On se pose alors des questions», glisse-t-elle. Philippe a vécu dix-huit ans dans la rue. Suite à un licenciement, cet ancien responsable de General Motors avoue «avoir tout perdu». Après une descente aux enfers, il s'est engagé auprès du collectif les Morts de la rue. Les yeux sur les centaines de boîtes, il confie : «Certains étaient pour moi comme de la famille. S'il y a bien quelqu'un de peiné aujourd'hui, c'est moi.» À 42 ans, Kaddour a été SDF pendant quatre ans. Au micro, il nomme quelques-uns des 480 morts recensés en 2014. Parmi eux, «Georges Dimagio dit "le bandit", mort le 1er avril à Toulon ;Arnaud dit "Nono", mort à 34 ans», mais aussi beaucoup dont on ne saura pratiquement rien.