Vincent De Coninck est chargé de mission étranger au Secours catholique du Pas-de-Calais. A l’occasion du transfert forcé des réfugiés dans la lande sud de Calais, loin des regards, il a signé avec neuf autres associations (1) un communiqué contre le «non-accueil» des exilés.
Ce bidonville à l’écart de la ville, est-ce une manière de cacher la misère ?
Il y a toujours cette question de l'invisibilité. On relègue les réfugiés loin du centre-ville, à la périphérie. Ils nous disent que cela les blesse profondément. Ils sont coupés de la vie sociale, de la rencontre avec les gens de Calais. Quand on va en centre-ville, ce n'est pas seulement pour aller à la poste ou boire un café, c'est aussi pour tisser des liens. Ce lieu ou l'on envoie les réfugiés est une ancienne décharge, un ancien dépotoir sur lequel la lande a repoussé. L'Etat nous dit : «C'est le seul terrain qu'on ait trouvé.» Sur le plan symbolique, c'est violent, et les exilés le ressentent comme ça. On met les déchets à l'extérieur de la ville.
Faut-il créer un nouveau Sangatte ?
Nous appelons de nos vœux la création d'hébergements à taille humaine pour que les migrants des camps du littoral et de l'intérieur des terres puissent faire une pause [il y a de multiples campements le long de toutes les autoroutes du Nord et du Pas-de-Calais, ndlr]. Ces lieux d'accueil doivent permette un vrai discernement pour choisir la suite des parcours des migrants. Quand ils quittent leurs pays, ils n'ont pas tous l'Angleterre en tête. Ils vont d'abord dans le pays le plus proche, et comme ça se passe mal, ils vont plus loin. Ils avancent bond par bond. On doit leur permettre de réfléchir à la suite. L'Etat nous dit «on ne veut pas de Sangatte bis», mais qu'est-ce qu'il crée ici, si ce n'est un Sangatte à ciel ouvert ? C'est indigne. Ce non-accueil n'est une solution pour personne, ni pour les exilés, ni pour les Calaisiens.
La création du «centre Jules-Ferry», au bout de ce camp, est-ce une avancée ?
Jules-Ferry (lire ci-contre) est une petite avancée sur le plan sanitaire. Pour la première fois depuis des années, l'Etat s'engage à nouveau. Mais ce n'est pas suffisant. On ne peut pas vivre dignement avec un repas par jour, des toilettes ouvertes de 12 heures à 18 h 30, un point d'eau à 800 mètres, et pas d'abri pour dormir.
Il manque une politique cohérente de l'asile. Quand le sous-préfet a dit aux exilés : «Demandez l'asile en France, car la situation en Grande-Bretagne va de mal en pis», ils l'ont regardé avec des yeux ronds. Huit demandeurs d'asile sur dix sont des «dublinés» [du nom du règlement européen Dublin 2 de 2003, ndlr]: ils ont leurs empreintes digitales dans un autre pays et pour cette raison, on ne leur octroie pas d'hébergement en France. Entre 100 et 150 demandeurs d'asile croupissent ainsi dans la «jungle» à Calais. Ils y vivent entre six et dix-huit mois en attendant une réponse. C'est de la souffrance, de la fatigue, ils ne sont en lien avec personne et ne peuvent pas apprendre le français.
(1) Auberge des migrants, Calais Ouverture et Humanité, Salam, La Cimade, Emmaüs France, Emmaüs Europe, Emmaüs International, France Terre d’Asile, Médecins du monde, Secours catholique-Caritas France