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Libération
TRIBUNE

Habiter pour mieux se distinguer

Les bobos coloniseraient la proche banlieue. Les petites classes moyennes rêveraient de pavillons au vert. Est-ce aussi simple ?
publié le 10 avril 2015 à 18h26

Les uns sont affublés d’un surnom ridicule, «bobos», accusés de vouloir s’encanailler dans les quartiers populaires et de chasser les plus pauvres qu’eux loin des villes. Les autres sont taxés de «petits Blancs» et soupçonnés de voter FN. Néobourgeois des proches banlieues et classes moyennes rurbanisées : ressemblent-ils vraiment à leur caricature ?

Deux livres viennent remettre en cause ces clichés. Tous deux s’appuient sur de longues enquêtes de terrain - à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, à la Croix-Rousse de Lyon, dans un lotissement modeste du nord de l’Isère.

Bourgeois des quartiers populaires ou habitants des zones périurbaines ont en tout cas un point commun : migrer pour se distinguer. Les premiers déménagent vers les quartiers populaires en quête de logements atypiques et moins chers, les seconds fuient les HLM pour les pavillons.

Contrairement aux idées reçues, le «bobo», ou plutôt le gentrifieur, comme l'explique la sociologue Anaïs Collet dans son livre Rester bourgeois, n'est pas forcément riche, il ne pratique pas systématiquement l'évitement scolaire et surtout il ne correspond pas à une catégorie sociale figée.

Quant aux lotissements de la «France périphérique», ils sont loin de l'uniformité sociale qu'on leur prête parfois. Aux côtés d'employés de la classe moyenne modeste et blanche viennent s'installer, à la faveur de la crise, des ouvriers issus de l'immigration ou d'anciens habitants des cités fuyant la stigmatisation. La sociologue Anne Lambert décrit, dans Tous propriétaires !, «l'accession croissante des familles issues de l'immigration africaine à des formes d'habitat dont elles ont longtemps été exclues.»

Coexistence ne veut pas dire cohabitation harmonieuse. Le lotissement pavillonnaire - et la déception qu’il suscite - exacerbe les conflits entre voisins, qui se doublent de tensions sociales et raciales. En s’implantant dans les quartiers populaires, les gentrifieurs importent leur vision du monde.