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Libération
TRIBUNE

Le mâle entendu

publié le 16 avril 2015 à 17h06

Combien de fois ? Impossible de vous dire le nombre de fois que l'on m'a demandé de parler du «problème des femmes» . J'ai cessé d'obtempérer. Depuis un bon moment déjà - dans les prisons, les soirées amicales, mes essais - j'interroge et écoute beaucoup plus les hommes que les femmes. Le «problème des hommes» me semble tellement plus grave que le «problème des femmes» !

Si, une seule journée durant, dans tous les ministères, syndicats, journaux satiriques, universités, armées, académies, clubs de foot, cartels de la drogue, partis politiques, banques, cours de justice, églises, synagogues, mosquées, entreprises, Bourses et cellules terroristes de la planète Terre, les hommes étaient tenus de préfacer chaque prise de parole avec «en tant qu’homme…», les affaires humaines seraient brusquement éclairées d’une lumière neuve.

Plus on monte dans la liste des grandes fortunes mondiales, comme dans les hiérarchies politiques, religieuses et militaires, plus les femmes se font rares. Ce n’est pas une opinion, mais un fait, et un fait criant. D’être une omertà qui s’ignore ne la rend que plus dangereuse. Mais en France, il est presque impossible de parler de ces choses, car le dualisme chrétien et cartésien (qui scinde l’esprit du corps et l’humain de l’animal) se réimpose de nos jours sous le déguisement d’«études du genre». Chez l’humain, les différences physiques entre les sexes n’auraient pas d’incidence sur l’être ; il suffirait de décréter la profonde ressemblance des hommes et des femmes pour, par la magie des mots, la faire advenir. Si l’on suggère que certaines différences physiques (pouvoir ou non porter un enfant, pouvoir ou non violer, etc.) ont forcément entraîné, au long des âges, des dissemblances psychiques, on est traité d’«essentialiste». Ainsi, parvenons-nous à ignorer avec superbe les signes innombrables - notamment dans les actualités, chaque jour et partout - que, dans les affaires humaines, la différence des sexes a de beaux jours devant elle.

La nature n'a que faire du politiquement correct ; elle ne favorise pas la paix mais la survie. Cela ne veut pas dire que tout est décidé d'avance, mais que nos convictions égalitaristes ne suffisent pas pour annuler les quatre millions d'années d'évolution humaine.

Parmi les traits que partagent toutes les cultures humaines connues, on trouve : les mâles dominent l'espace public et politique, sont plus agressifs, plus portés sur la violence létale, plus aptes à voler, et s'adonnent plus souvent à la violence collective (1). Mais que signifie cette liste ? Non que les hommes soient plus «méchants» que les femmes, mais que les mâles de notre espèce (comme de nombreuses autres) sont programmés pour coopérer en vue de défendre territoire et famille. En effet, l'agressivité des mâles a été non seulement utile mais indispensable à la survie de l'humanité.

Un peu partout, les hommes ont développé des aptitudes pour la chasse et la guerre. Lestées par les grossesses, l'allaitement et le soin des enfants en bas âge, les femmes ont développé d'autres aptitudes, linguistiques notamment ! N'empêche, elles ont contribué à rendre notre espèce violente : l'évolution ne dépend pas seulement de la sélection naturelle (les faibles sont éliminés et les plus forts transmettent leurs gènes), mais aussi de la sélection sexuelle (les femelles choisissent les mâles avec lesquels elles veulent se reproduire). Au cours de l'histoire humaine, la préférence exprimée par les femelles pour les mâles agressifs a doublement favorisé la survie ; un père fort était plus à même de nourrir et de protéger sa famille ; et ses gènes agressifs se transmettaient à ses fils !

Ensuite, le temps passant, ça et là dans le monde, à la faveur d’un enrichissement relatif, ont pu émerger des concepts singuliers : droits de l’homme, suffrage féminin, luttes féministes. Enfant de mon monde, j’adore être un individu, suis reconnaissante d’avoir pu étudier, voter, me contracepter et me consacrer à des activités autres que maternelles. Il est évident que ces développements en direction de l’égalité, s’étant produits sur quelques décennies, n’ont pas encore transformé le génome humain. Les hommes continuent de regarder et de désirer les femmes en fonction de leur fécondité (jeunesse + beauté). Ils continuent d’être programmés pour rouler les mécaniques, se mesurer les uns aux autres, se battre, se livrer à la violence individuelle et collective. Et les femmes continuent de préférer les hommes riches et puissants.

En ce début du XXIe siècle, un peu partout à la surface du globe, les hommes se spolient, se font la guerre, polluent et surexploitent terre, mers et air, déclenchent de séismes économiques, organisent des trafics d'armes, de drogues et de femmes. Alors que le monde est débordé par les effets incontrôlables de la virilité, on continue d'ânonner le dogme officiel selon lequel gamin et gamine, c'est kif-kif. Et, quand surgit la violence extrême, on est abasourdi. On ne voit même pas qu'après nous avoir longtemps aidés à survivre, l'agressivité et la violence masculines se retournent contre nous et sont désormais susceptibles de nous anéantir.

Les femmes aussi, qui dépensent des fortunes pour se faire belles, et dont les besoins en matière de bijoux, vêtements, parfums, fourrures, etc. contribuent à creuser l’abysse entre pays riches et pauvres, pourraient interroger le caractère atavique et archaïque de ces «besoins».

Quand les femmes occidentales donnent des leçons aux musulmanes, elles oublient que leur liberté d'exhiber cuisses et décolleté est prélevée dans la chair des femmes plus fragiles qu'elles. Les prostituées étrangères, qui pullulent dans les capitales européennes, ne sont pas là pour leur plaisir, mais pour celui des hommes aux copines «libérées». Idem pour les actrices pornos, dont l'espérance vie est de 50 ans, tandis que l'industrie porno tire cyniquement profit (et quel profit !) de la vulnérabilité des garçons. Le plus souvent, face à ce déferlement, parents et éducateurs se laissent déborder, distraire ou décourager.

L’Etat laïque moderne s’abstient, oublie, refuse ou néglige de remplir, remplacer l’une des fonctions pérennes des religions : aider les hommes à organiser, gérer et contrôler leurs pulsions sexuelles. Faire de la masturbation un péché et de l’adultère un crime était, certes, «répressif» mais avait au moins le mérite de reconnaître le penchant inné des mâles humains pour ces comportements. A leur sujet, la laïcité est muette, et les études du genre abandonnent lâchement le terrain.

Dans les pays où se pose encore le problème de la survie, les notions comme l’égalité, la paix et le respect généralisés ne risquent pas de l’emporter de sitôt sur le plan politique. Hommes et femmes occidentaux, au lieu de nous gargariser de nos belles valeurs, aurions besoin de percevoir le décalage grave entre celles-ci et nos gènes, coutumes et habitudes, encore très largement empreints de violence valorisée. Pour remédier à ces problèmes, il faudrait d’abord reconnaître qu’ils existent… mais comment lever une omertà que l’on persiste à ignorer ?

(1) Donald E. Brown, «Human Universals», McGraw Hill, New York, 1991. Dernier ouvrage paru : «Danse noire», Actes Sud, 2013.