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Libération
Reportage

L'Hermione: «La France, c’est la nostalgie qui bouge, ce n’est pas un musée»

Avant son départ aujourd'hui pour quatre mois de voyage et deux traversées de l’Atlantique, tour d'horizon du navire au large de l'île d'Aix.
La frégate «l'Hermione», à la sortie du port de La Rochelle, en octobre. (Photo Xavier Léoty. AFP)
publié le 18 avril 2015 à 11h56

8 heures. L’Hermione est dans la brume. Voilà une heure qu’elle est au mouillage au large de l’île d’Aix (Charente-Maritime), après trois jours d’essais en mer. Cet après-midi, elle paradera sur la Charente pour saluer les dizaines de milliers d’amateurs attendus. Puis elle partira pour de bon, dans la soirée. Un au revoir avant quatre mois de voyage et deux traversées de l’Atlantique.

Reconstitution de la frégate qui permit au marquis de La Fayette d'aller aider les insurgés américains en 1780 pendant la guerre d'indépendance, l'Hermione fera une première escale aux Canaries dans quinze jours avant de rejoindre Yorktown, en Virginie, un mois plus tard. Avant le départ du bateau, dont la construction a commencé en 1997, François Hollande se rendra à bord en début d'après-midi. Ce matin, à l'heure du briefing, on s'y prépare. «Il va visiter. Le bateau doit être bien rangé, bien propre. Et vous aussi, soyez propres sur vous !», lance Yann Cariou, le commandant. «Il vous posera des questions, alors révisez», ajoute-t-il en souriant. Même si la journée est particulière pour les 80 membres de l'équipage, la vie continue. Le bosco (ou maître d'équipage), Jens Langert, répartit les tâches.

Sur le pont du bateau, on écoute. Et on râle, pour certains. Une jeune femme, dont le groupe vient d'être désigné pour être «de service», se tourne vers quelques camarades pour faire mine de s'en plaindre. Mais elle du mal à réprimer un sourire. Qu'importe les tâches à effectuer, c'est un peu la colonie de vacances. Professionnels ou bénévoles (80 % de l'équipage l'est), ils font partie de l'aventure et sont mus par l'envie de bien faire. Un peu plus tard, deux «gabiers» (simples matelots) astiquent la coque du bateau en se tenant aux cordes qui descendent de la mâture. Dans leur «château qui se déplace», dixit le commandant, tous ne réalisent pas que, ça y est, l'heure du départ est arrivée.

Benedict Donnelly, le président de l'Association Hermione-La Fayette à l'origine du projet, avoue qu'il avait «presque oublié que le bateau finirait par naviguer un jour». «On était bien dans notre cathédrale de bois. Le plus stressant, c'est maintenant !», dit-il, aux anges. «Ça fait 20 ans qu'on a rêvé de ce moment-là, alors forcément, on a un sentiment de plénitude». Au tout début, l'Hermione était «un projet entre amis qui ont eu envie de reconstruire un vieux bateau», se souvient le romancier et académicien Erik Orsenna. Il était président du centre de la mer de Rochefort à l'époque. A bord, ce matin, il est ému. «La plupart des matelots qui sont ici étaient enfants à l'époque !», insiste-t-il. La moyenne d'âge des bénévoles est de 27 ans. Il ne s'étonne pas que le projet fédère autant les Français. «Si on regarde les bateaux partir, c'est pour vivre un peu la vie des autres. C'est pour la même raison que je suis devenu écrivain», confie-t-il.

Selon l'homme de lettres, l'Hermione représente bien l'esprit du pays : «la France, c'est la nostalgie qui bouge, ce n'est pas un musée». «C'est normal que François Hollande se déplace, peu de projets ont secoué la France ces quinze dernières années. Or il faut arrêter de se replier sur soi et tenter d'agrandir la vie, comme le fait cette aventure.» Au loin, la frégate Latouche-Tréville, de la Marine nationale, se rapproche. Un rayon de soleil perce le gris du ciel. Erik Orsenna souligne la beauté du moment. Plusieurs navires mythiques sont attendus pour l'occasion, parmi lesquels le Belem ou la caravelle espagnole Nao Victoria. Jour de gloire pour les vieux grééments. «On nous dit qu'on fait de l'archéologie navale, et c'est vrai, explique Yann Cariou. On est ému car on découvre qu'il y a plus de 200 ans, on avait atteint le summum en termes de construction navale.»

Philippe, 29 ans, fait partie de l'équipage professionnel. Dans la vraie vie, il travaille dans la Marine. Un peu en retrait en train de fumer sa cigarette, il dit qu'il «ne réalise pas». Autour de lui, les journalistes «envahisseurs» s'agitent. Anne-Laure, 24 ans, tacle les fauteurs de trouble : «On sera mieux en mer, il y a trop de monde, là». Plus que quelques heures à tenir avant la tranquillité. En face de l'île d'Aix, à Fouras, les parkings se remplissent et les musiciens répètent.