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Libération

La reconstruction mammaire, un droit inégalitaire

Un rapport de l’Observatoire sociétal des cancers fait état de frais élevés restant à charge des femmes ayant subi une mastectomie.
Une patiente grecque ayant subie une mastectomie se reflète dans une mammographie, dans un hôpital d'Athènes en octobre 2008. (Photo Yannis Behrakis. Reuters)
publié le 27 avril 2015 à 19h26

C’est le paradoxe français : en matière de traitements, la prise en charge du cancer est une des meilleures au monde, comme on le voit aujourd’hui avec les thérapies ciblées largement disponibles sur tout le territoire. Mais en termes de prise en charge globale et d’inégalités sociales, on peut franchement mieux faire. Et le rapport de l’Observatoire sociétal des cancers, que la Ligue nationale contre le cancer vient de rendre public, est de ce point de vue très éclairant. En se centrant sur les frais non remboursés - «le reste à charge pour le patient» -, l’observatoire montre que dans le cas du cancer du sein, ces frais restent très élevés, particulièrement en cas de reconstruction mammaire.

Dépassements. L'idée qui a motivé cette enquête inédite (1) était de comprendre les difficultés rencontrées par les patientes, et les problèmes financiers sont rapidement apparus comme une priorité. Reprenons. Chaque année, en France, on dénombre 49 000 nouveaux cas de cancer du sein ; 20 000 femmes subissent une mastectomie. Et entre 5 000 et 7 000 patientes se font reconstruire le sein après l'opération.

Or, quel que soit le parcours de soins, c’est cher. Ainsi, immédiatement après une mastectomie, le reste à charge s’élève à 456 euros en moyenne ; puis 256 euros par an en moyenne sans reconstruction mammaire. Et 1 391 euros en moyenne en cas de reconstruction : les frais sont alors liés à l’intervention et varient en fonction des dépassements d’honoraires facturés par le chirurgien et l’anesthésiste. Entrent aussi en compte le type d’établissement où la reconstruction a été effectuée, l’éloignement du domicile, la technique de reconstruction utilisée et le choix de la complémentaire.

Les histoires, en tout cas, se ressemblent. «Je viens de verser 800 euros à mon chirurgien pour avoir accès à ce "droit à la reconstruction", a ainsi raconté une patiente aux chercheurs.Que dire de l'hypocrisie de nombre de mutuelles qui refusent de considérer tout dépassement d'honoraires ? Il n'y a de toute façon pas assez de place dans le service public. Pour sauver sa peau, on peut être obligée de se faire opérer en libéral, et ça coûte cher.»

Au final, un chiffre s'impose : 54% des femmes interrogées ont rencontré des difficultés pour faire face au reste à charge après avoir subi une mastectomie. Et 15% d'entre elles ont dû faire appel à une aide extérieure ; il s'agit principalement de femmes au chômage ou vivant seules.«On s'est retrouvés avec un salaire, on avait des crédits, et après, cela a été le dossier de surendettement, témoigne ainsi l'une. On est dans une situation qui n'est pas évidente à vivre et, en plus, on se retrouve à avoir des rendez-vous avec des assistantes sociales. C'est très difficile.»

«Anéantie». Autre aspect abordé dans cette étude, la douleur liée à la mastectomie. «Le corps médical me disait que c'était pour guérir. Oui, mais à quel prix ? Je ne pensais pas à la maladie, au cancer. Je ne voyais que l'aspect physique et esthétique. C'est très lourd pour une femme, c'est impensable. Un sein, ce n'est pas seulement l'image, c'est quelque chose qui est né avec vous. Maintenant, ce n'est plus moi, je ne me reconnais plus», raconte une patiente. Une autre : «J'ai été très choquée, démolie, anéantie par l'ablation. Je ne me retrouvais plus quand je me regardais dans une glace. Je voyais ma tête, c'était moi, mais mon corps, ce n'était plus moi. J'avais vraiment un problème d'identité, je ne me supportais plus.»

Ou encore : «C'est votre corps qu'on mutile. C'est comme couper une jambe. Il y a votre féminité, il y a aussi le couple qui est en jeu, et beaucoup d'autres choses. C'est difficile tout ça, même si à 67 ans ce n'est plus comme avant.»

La reconstruction chirurgicale relève d'un choix très personnel : une femme sur quatre choisit de ne pas y recourir. «Le choix est fortement lié à l'âge, à la peur des opérations et à l'image corporelle que les femmes ont d'elles-mêmes», notent les chercheurs. Si 6% des femmes se disent lassées par toutes les démarches, 14% d'entre elles expliquent, là encore, leur refus de cette reconstruction par des raisons financières. «Un chiffre en augmentation», insiste la Ligue nationale contre le cancer.

(1) Etude quantitative, par questionnaire, auprès de 992 femmes ayant subi une mastectomie.