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Libération
Rencontre

«On ira jusqu’au bout, on lavera son nom et celui de ses enfants»

Le frère et la sœur de Serge Atlaoui ont gardé le silence pendant presque dix ans, par crainte de «froisser les autorités indonésiennes». Ils prennent aujourd’hui la parole pour dénoncer une «machination».
André et Nathalie, le frère et la soeur de Serge Atlaoui, mardi 28 avril. (Photo Pascal Bastien. Divergence)
publié le 29 avril 2015 à 19h46
(mis à jour le 29 avril 2015 à 19h46)

Dix ans qu’ils se taisent. Aujourd’hui, ils se sentent seuls. Leur frère, Serge Atlaoui, 51 ans, est promis à une exécution imminente par la justice indonésienne. Huit condamnés à mort ont été fusillés dans la nuit de mardi à mercredi. Arrêtés comme lui en 2005 à Tangerang, dans la banlieue de Jakarta, lors d’un coup de filet antidrogue de la police.

Sa famille rappelle que Serge est artisan-soudeur. Il croyait installer des machines servant à la production de peinture acrylique. L'usine était en fait un laboratoire clandestin d'ecstasy. Ses proches ont appris la nouvelle par la télévision. Nathalie, 43 ans, l'une des sœurs de Serge, accepte de recevoir dans son appartement de Metz, mais exprime des réticences, craignant d'être assiégée par les caméras en «cas de malheur».

Ses volets restent mi-clos. Dans la pénombre du salon, elle explique que si sa famille a gardé le silence durant toutes ces années, c'est parce qu'elle ne voulait «pas gêner le bon déroulement du procès». «Nous avions bon espoir qu'il soit innocenté, tant il y avait dans son dossier des éléments et témoignages, notamment celui d'un policier, prouvant qu'il n'a joué qu'un rôle très mineur dans l'affaire.» Mais aucun argument de sa défense ne sera entendu, il est dans un premier temps condamné à perpétuité. «Il était la star du procès, désigné comme le chimiste, celui qui a ramené la formule !» s'étrangle son frère André, 44 ans. Tous les deux semblent dévastés, mais voudraient ne rien laisser paraître.

Dessinateur industriel. Serge est l'aîné de cinq garçons et cinq filles, la plus jeune a 26 ans. Il est le grand frère adoré, celui qui les élèvera, épaulant le père ouvrier, après le décès de la mère. «Il nous a toujours protégés», dit Nathalie. «C'est un gros bosseur, serviable, concerné, coura geux. Dans le quartier, il réparait les vélos des autres gamins. A la prison aussi, il a tout réparé. Il est gentil, trop gentil… naïf, en fait», poursuit André.

La fratrie grandit entre Metz et le Luxembourg, en appartement puis en lotissement. Le père se remarie. Serge fait des études de dessinateur industriel et part, à 24 ans, s’installer aux Pays-Bas. Il devient soudeur, se spécialise, monte sa propre entreprise et fonde une famille (il est aujourd’hui père de quatre enfants). Il est en Indonésie depuis une semaine quand il se fait arrêter, en 2005.

«Serge est soudeur, ils sont peu dans le monde à avoir, comme lui, toutes les licences pour souder n'importe quel métal en toutes circonstances. Il était souvent amené à faire des missions aux quatre coins de la planète, souligne André. La télévision indonésienne était là, comme par hasard, lors de la descente de flics. Progressivement, on s'est aperçu que tout ceci n'était qu'une machination, la justice s'est avérée expéditive et inéquitable.» La bouche est nerveuse, le regard droit.

Consigne. Le procureur, «assoiffé de sang», fait appel de la condamnation à perpétuité, Serge Atlaoui écope finalement en cassation de la peine capitale, en 2007. «A cette époque, un moratoire s'est ouvert sur la peine de mort en Indonésie, nous étions relativement sereins», poursuit Nathalie. La famille continue de garder le silence. Cette fois, c'est une consigne du quai d'Orsay, afin de ne pas nuire aux tractations diplomatiques menées en coulisse.

En octobre 2014, Joko Widodo est élu président d'Indonésie. «Il avait fait campagne sur le respect des droits de l'homme, nous pensions que le contexte serait plus favorable à Serge. Il fallait être patient, attendre que les relations soient cordiales pour demander sa grâce, faire certifier et traduire toutes les nouvelles pièces que nous avions versées au dossier», relate Nathalie. Sauf qu'arrivé au pouvoir, le ton change. Widodo estime que son pays a besoin d'une «thérapie de choc» face à la drogue, mène une politique de répression sévère et refuse systématiquement toutes les demandes de grâce des trafiquants, dont celle du Français.

Le 18 janvier 2015, les exécutions reprennent, cinq ressortissants étrangers sont tués. Les médias présentent Serge Atlaoui comme le prochain. Ce jour-là, André stoppe net son activité de maçon. Nathalie, employée dans l'administration, pose des congés et s'envole pour l'Indonésie. En février, elle a revu son frère pour la première fois depuis dix ans. «J'ai essayé de lui dire le plus de choses possibles, de le serrer dans mes bras autant que possible… Les visites sont limitées. Sur quinze jours, je n'ai pu le voir que huit heures en tout. C'est tellement peu !» Depuis, elle passe ses journées les yeux rivés sur les écrans.

La fratrie alimente les pages Facebook de soutien, tente de démêler le vrai du faux à chaque rebondissement et essuie les violentes attaques des pro-peine de mort. Ils essaient de mobiliser, organisent des rassemblements, des concerts. «Ce n'est pas assez, répète André, agité. Nous sommes choqués de voir à quel point les gens ne se sentent pas concernés, indifférents au sort de leur compatriote», soupire-t-il.

L'hôtel de la ville de Metz, d'où est originaire la famille Atlaoui. Photo Pascal Bastien. Divergences

Mardi, les joueurs du FC Metz arboraient des maillots en soutien à Serge Atlaoui lors du match les opposants au PSG. Mais le club parisien, très apprécié en Indonésie, a refusé de s'en mêler. «L'argent passe avant la vie. Pourtant, ils ne crèvent pas de faim, ces gens-là», enrage André.

Leviers. Jusqu'à présent, quand les Atlaoui s'exprimaient, ils pesaient chaque mot, redoublaient de prudence et de politesse pour «ne pas froisser les autorités indonésiennes». Ils ont cessé de se contenir quand la Cour suprême a rejeté, voilà dix jours, la demande de révision de procès. «Le dossier a-t-il seulement été lu ? interroge Nathalie. Pour nous, tout s'est effondré.» Les Atlaoui implorent, l'exécutif français menace. Mais les leviers sont faibles. Et ces pressions étrangères ont des relents de colonialisme pour les Indonésiens, dont 75% sont favorables à la peine de mort. Même si dernièrement, des journalistes se sont émus de voir leur pays traité d'assassin sur la scène internationale. «L'Etat français s'est réveillé un peu tard, il pouvait faire mieux, durcir le ton avant. Et où est l'Europe ? La communauté internationale a fait beaucoup pour les Indonésiens après le tsunami, et voilà comment ils remercient aujourd'hui, en exécutant des ressortissants !» s'emporte André.

Un ultime recours a été déposé auprès du tribunal administratif pour contester le refus de grâce présidentielle, permettant ainsi à Serge Atlaoui d'échapper in extremis au peloton d'exécution, mardi. Mais il n'a pas été prévenu que son nom ne figurait plus sur la liste. «Mon mari est resté quarante-huit heures assis à côté de la porte de sa cellule à attendre qu'on vienne le chercher», a expliqué sur France Info son épouse, Sabine, qui se trouve en Indonésie depuis deux mois. Elle se dit «anéantie de voir toute cette souffrance» et parle de «torture psychologique». Une audience est prévue prochainement. Mais le procureur en parle comme d'une vulgaire formalité administrative. Une fois qu'elle sera «terminée», Serge Atlaoui sera exécuté «seul», a-t-il annoncé.

Alors, dans l'appartement messin, on ne se fait guère d'illusion. L'espoir va et vient, on n'ose rêver d'une grâce présidentielle de dernière minute. «Le recours sera sans doute rejeté, comme pour les autres, murmure Nathalie. Chaque jour, on a des mauvaises nouvelles qui nous rongent, nous empêchent de manger et de dormir. Mais nous restons déterminés à ce que justice soit rendue avant ou après son exécution. On ira jusqu'au bout, on lavera son nom et celui de ses enfants.» André détourne le regard, assombri d'un voile de tristesse. L'inimaginable l'est de moins en moins.