C'est une énième histoire de délit de faciès, qui aurait pu en rester une si le tribunal correctionnel de Bordeaux n'en avait pas décidé autrement. Ahmed A. n'avait pas de papiers, et devait être jugé jeudi pour être resté irrégulièrement en France. Mais le procès n'a pas eu lieu : l'avocate de la défense, Me Ophélie Berrier, dénonçait un délit de faciès au moment de son interpellation et a demandé l'annulation de la procédure. Elle l'a finalement obtenue.
Tout commence mardi, quand son client, égyptien et âgé d'une trentaine d'années, est contrôlé dans le quartier de la gare. Sous le coup, depuis 2009, d'une ordonnance l'enjoignant de quitter le territoire français, il n'a pu fournir aucun papier aux forces de l'ordre. Sauf que ce soir-là, les policiers étaient présents pour une autre mission et cherchaient tout autre chose : agissant sur une réquisition du parquet, ils traquaient les trafics de stupéfiants et la préparation d'actes terroristes. Rien ne laissait soupçonner qu'Ahmed rentrait dans ce cas de figure. Dans le procès-verbal, les policiers bordelais avouent d'ailleurs presque le caractère arbitraire et abusif de leur interpellation. «De passage place Pierre-Jacques-Dormoy, contrôlons individu de type nord-africain», écrivent-ils.
«Il n'y a pas de flagrant délit de quoi que ce soit, il n'y a pas d'atteinte à l'ordre public à prévenir et rien ne permet de supputer qu'il peut être l'auteur d'une quelconque infraction», a plaidé l'avocate. Le fait que l'interpellé soit en situation irrégulière a conforté les policiers qu'ils avaient la loi pour eux, mais les magistrats en ont décidé autrement, en jugeant le contrôle «discriminatoire […] et entaché d'irrégularité ainsi que toute la procédure qui a suivi». Ahmed A. a été remis en liberté.
Selon Slim Ben Achour, avocat à la cour d'appel de Paris et spécialiste des questions d'égalité et de non-discrimination, «il va y avoir de plus en plus de jugements de la sorte. Ça ne m'étonne absolument pas qu'aujourd'hui, des juges se mettent à dire : "Ça suffit."» Selon l'avocat, il y a un vrai changement de mentalité chez une partie des magistrats. «On remarque de plus en plus une volonté […] de corriger les abus. Ils réalisent que des procédures policières douteuses, en plus du climat ambiant, sont dangereuses pour la société.»