Certains gendarmes affirment que les migrants de Calais, parce que passagers clandestins, doivent accepter de prendre des coups. Les mêmes trouvent «gonflés» ceux qui portent plainte contre la police et les menacent de représailles. Des humanitaires ont entendu et enregistré ces mots, le 24 juin 2014, dans une gendarmerie du Pas-de-Calais. Ces propos, prononcés quelques mois avant le rapport de Human Rights Watch sur les violences policières à Calais, illustrent la banalité de ces actes et les difficultés des migrants à faire entendre leurs droits.
Fracture. Ce lundi après-midi, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, est à Calais pour visiter le nouveau lieu de repas et de soins pour les migrants, près du «Sangatte sans toit», une «jungle» autorisée par l'Etat sur une ancienne décharge à l'écart de la ville, où s'agglutinent un millier de migrants de nationalités différentes. Selon les témoignages des clandestins eux-mêmes, ces violences ne sont pas plus fréquentes. Mais elles continuent et peuvent aller jusqu'à la fracture des os. Et aujourd'hui comme hier, il est toujours aussi difficile de témoigner contre la police. Le 24 juin, à Norrent-Fontes, les Erythréens sans papiers ont eu peur de déposer plainte, par crainte d'être placés en centre de rétention. Ils ont demandé aux gendarmes de transmettre les éléments au parquet. Or, le procureur de Boulogne-sur-Mer, Jean-Pierre Valensi, n'a pas donné suite… faute de plainte.
Le Secours catholique a sorti un rapport le 16 avril sur le quotidien des migrants de Calais, où il cite des témoignages de violences, avec bras et jambes cassés et journées d'hôpital. Human Rights Watch dénonçait également dans son rapport du 20 janvier des «passages à tabac», des «exactions de routine». Cazeneuve avait alors regretté que l'organisation n'ait pas «pris la peine» de «vérifier les allégations» des migrants et invitait l'ONG à «saisir [les] autorités des éléments tangibles qu'elle aurait pu recueillir afin que des enquêtes approfondies et impartiales puissent être menées sur ces faits». Or, des éléments tangibles, il pourrait y en avoir si on laissait les migrants déposer plainte et déclencher des enquêtes. En juillet, dans une autre affaire de violences policières, John M., lui aussi érythréen, l'a fait, avec difficulté, se souvient Vincent De Coninck, délégué départemental du Secours catholique, qui l'accompagnait : «On a passé l'après-midi au commissariat. D'abord, le policier n'a pas pris notre plainte, au motif que le migrant était sans papiers. J'ai demandé à voir un officier.»
Caméras. Le procureur Jean-Pierre Valensi, qu'on a contacté plusieurs fois pour savoir si les témoignages des Erythréens de Norrent-Fontes allaient déboucher sur une enquête, insiste sur… autre chose : «Il faut également parler des plaintes déposées de manière abusive.» Il évoque le cas d'un Albanais qui raconte avoir été frappé par la police aux frontières et qui a été confondu par les caméras de surveillance. «Sur la bande-vidéo, dit le procureur, il n'est pas frappé.» Pour John M., qui a été frappé à l'abri des regards, l'enquête est, elle, «en cours».