Arrivant sur le site de l’ancienne usine sucrière Darboussier, le visiteur découvre, reliés par une arche, deux longs parallélépipèdes de granit noir moucheté de quartz, recouverts d’une résille de métal gris argent. D’un côté, le bâtiment donne sur la baie de Pointe-à-Pitre, une terrasse en gradins descend vers la mer. De l’autre, il ouvre sur une place plantée de palmiers de toutes tailles et variétés de vert. En levant la tête, on voit une passerelle qui s’élance du premier étage vers le morne («colline» aux Antilles). L’ensemble est magnifique. Impressionnant et léger à la fois.
Transmission. Le bâtiment du Mémorial a été réalisé par l'agence BMC (Pascal Berthelot et Jean-Michel Mocka-Célestine) - qui a gagné le concours en 2008 - et l'Atelier Doré-Marton (Mikaël Marton et Fabien Doré), avec qui elle s'est associée. Un édifice de 260 mètres de long qui abrite 4 350 m² d'espaces d'exposition, salle de congrès, médiathèque… A l'extérieur, un espace de commémoration de 3 300 m² et une passerelle (dessinée par Marc Mimram, comme celle de Solférino à Paris) de 275 mètres de long à 11,5 mètres de haut relie le bâtiment au morne Mémoire, un jardin de 2,2 hectares, avec amphithéâtre et table d'orientation.
Dans l'agitation des derniers jours de travail, l'architecte Pascal Berthelot, qui fait visiter les lieux, est à la fois d'un calme olympien et enthousiaste : «Ça a été un énorme chantier. En fait, neuf chantiers simultanés : enrochement, belvédère, appontement, bâtiment, parvis, route… En tout, 250 personnes y ont travaillé.» Pour les architectes, il y avait plusieurs enjeux. Il fallait bâtir un lieu de transmission de la mémoire qui ne soit pas tourné vers le passé et la douleur ; créer un endroit accessible à toutes les composantes de la société guadeloupéenne ; offrir un point de vue sur la Caraïbe et le monde. Le projet est aussi censé permettre la «restitution à ses habitants» du quartier Darboussier en déshérence.
«Silver roots in a black box», c'est le concept que les architectes ont vendu - avec succès - au jury du concours. Très marketing mais pas si mal trouvé. La boîte noire, expliquent-ils dans leur note d'intention, c'est le contenu historique. La résille argentée évoque les racines aériennes du figuier maudit, un arbre local qui «lance des racines conquérantes sur des distances impressionnantes».
«Poteau-Mitan». «Nous avions envie de montrer qu'il était possible de faire une architecture contemporaine avec des éléments du vocabulaire caribéen, continue Pascal Berthelot. Les "silver roots" sont en métal, mais leurs formes sont douces et généreuses.» Il montre le hall rond couleur crème, le restaurant aéré, bleu et vert, les murs de bois rouge de l'auditorium. L'entrée du bâtiment donne sur un patio au centre duquel ils ont prévu d'élever un «poteau-mitan». En fait un arbre d'acier rouillé qui culmine à 18 mètres de haut. Le «poteau-mitan» renvoie au dicton créole omniprésent dans l'île : «Femm cé potomitan a pep gwadloup» («la femme est le pilier central du peuple guadeloupéen»).
En face, au bout de la passerelle, le morne Mémoire donc, où il est question d'installer des ateliers d'artistes et un ossuaire à partir des cimetières d'esclaves de l'île. Le catalogue du Mémorial indique : «Le jardin, maigre espace de liberté pour l'esclave, est symbolisé par le morne Mémoire. Il subsistera ensuite dans l'univers de la case créole, comme le décrit feu Jacques Berthelot.» L'allusion est discrète, mais elle n'échappera à personne dans l'île. Jacques Berthelot, père de Pascal, était un architecte réputé. Il avait écrit un livre sur l'architecture caribéenne et avait introduit des matériaux et des formes compatibles avec la culture locale. C'était aussi un militant indépendantiste. Il est mort en 1984 dans des circonstances non élucidées, en même temps que trois de ses camarades, alors qu'ils transportaient une bombe. Il reste une figure respectée dans la mémoire des Guadeloupéens.
En sortant du bâtiment, on se retrouve face à la mer. Un énorme tanker passe lentement. Pascal Berthelot se retourne vers le Mémorial. «On voulait un bâtiment long pour qu'il y ait un échange avec les paquebots et les pétroliers de 300 m qui traversent la baie».