Nicolas Offenstadt est historien, maître de conférences à Paris-I.
«Ce qui me frappe dans les réactions contre la réforme, c’est que dans nombre d’entre elles les textes ont été lus en surface, voire pas du tout. Mais aussi que les termes du débat témoignent d’une exagération manifeste et partisane. Bien sûr, il peut y avoir des ambiguïtés, des inquiétudes, sur la question de l’allemand ou du latin, mais ne réduisons pas ces sujets aux accusations de nivellement par le bas d’un côté et d’élitisme de l’autre.
«Pour en revenir à l’histoire et la polémique sur les programmes, les réactions dans l’espace public ont été pitoyables. Même celles de grandes figures comme Pierre Nora, qui pour beaucoup projettent sur l’enseignement de l’histoire leurs fantasmes identitaires nostalgiques. Il est quand même étrange de vouloir transformer une position morale et politique, souvent réactionnaire, en ligne de force d’une discipline savante, sans cesse renouvelée !
«Cette réaction existait en fait bien avant les programmes incriminés et les oppositions les plus virulentes s’inscrivent dans une guerre culturelle plus large, engagée par une partie de la droite et même au-delà, et qui utilise l’identité nationale comme outil de réarmement idéologique. Quand Nora dit que les programmes d’histoire du collège "sont l’expression d’une France fatiguée d’elle-même", il s’agit d’un pur regard personnel, inquiet, sur le pays, mais quel rapport avec les programmes ? L’enseignement de l’histoire n’est pas un catalogue de ce qui est bien et de ce qui ne l’est pas. Il y a là l’idée d’un kit identitaire, un package historique auquel chacun n’aurait plus qu’à adhérer.
«Et accuser les programmes de nourrir le sentiment de "culpabilité nationale" ou de privilégier l’islam au détriment du christianisme, c’est à la fois faux factuellement et biaisé intellectuellement. L’histoire, discipline vivante, doit rester un facteur d’ouverture, de réflexion par le savoir, pas un outil de repli. L’histoire, ce n’est pas une identité qu’on décline.»