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Libération
Interview

Marie Duru-Bellat: «La sélection, oui, mais plus tard»

Collège, quelle réforme ?dossier
publié le 11 mai 2015 à 20h26

 Marie Duru-Bellat est sociologue, spécialiste des inégalités dans le système scolaire. 

«J’entends les opposants à la réforme s’inquiéter de la disparition des classes bilangues en sixième. Mais si elles marchent si bien, comme c’est visiblement le cas, pourquoi ne pas les généraliser? C’est ce qu’entend faire le projet du ministère : remplacer les sixièmes bilangues existantes par l’enseignement généralisé d’une deuxième langue en cinquième.

«Dans un collège unique, il n’est pas normal de réserver à quelques-uns un enseignement enrichissant. C’est pourtant ce qui se passe aujourd’hui. D’abord parce que les enseignants et les parents ne vont pas mettre en classe bilangue les enfants un peu juste scolairement : le passage en sixième est assez sensible comme ça. Il existe par ailleurs ce qu’on appelle "une sélection d’initiés" : seuls les parents les plus informés sont au courant de l’existence de ces classes, des établissements qui les proposent et peuvent donc y diriger leurs enfants.

«Il y a aura toujours un temps pour la sélection, mais plus tard, au lycée et après. Au collège, l’Education nationale prépare les élèves à la vie. Il est important aujourd’hui de connaître plusieurs langues ? Permettons-le à tous. Et ce n’est pas parce que les meilleurs élèves n’apprendront plus deux langues dès la sixième que leur niveau chutera.

«Ces classes bilangues, comme les classes à options, étaient utilisées pour rendre attractifs les collèges dans des quartiers défavorisés. Mais au fond, l’option "flûte à bec" d’un collège, les parents s’en emparent comme d’un prétexte - c’est le cas aussi du grec et du latin, que les élèves abandonnent dès qu’ils le peuvent. En réalité, ce que veulent les parents, c’est une équipe pédagogique stable et compétente, un climat sans violence, un programme suivi jusqu’à son terme. Il ne faut pas distiller l’idée selon laquelle les parents devraient choisir des enseignements à la carte. Ça, c’est pour la suite de la scolarité. Ce qui compte au collège, c’est le niveau du socle commun de connaissances - et la France a les moyens de l’élever pour tous. Sinon, autant fermer le collège unique.»