Rémi Gendarme, 32 ans, handicapé moteur, réalisateur de documentaires : «L’idée d’assistance sexuelle me choque»
«Je suis handicapé moteur. Je fais partie de ces personnes qui "ne peuvent pas avoir accès à leur corps". Dans ce débat, je fais partie des premiers concernés ! (1) Et pourtant, l’idée même d’assistance sexuelle me choque. Tous les arguments que je peux entendre autour de cette question, c’est de la charité à la sauce judéo-chrétienne. Je trouve cette idée violente, discriminatoire. L’idée même de fournir un service spécialisé, c’est reconnaître que les corps handicapés ne feront jamais envie ! Qu’ils ne peuvent pas plaire. Le préjugé n’est pas de dire que les personnes handicapées n’ont pas de sexualité, mais de considérer qu’elles sont condamnées à désirer. Que le plaisir de faire l’amour ne serait pas partagé ! Moi, j’affirme que le seul besoin que nous avons, c’est, valides ou pas, d’avoir l’opportunité de se reconnaître dans le regard de l’autre, de se rencontrer.
«Alors que nous venons de passer le cap des dix ans de la loi pour la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, et avant de valoriser des propositions bankable, assurons-nous que le minimum vital soit bien mis en œuvre pour qu'elles puissent vivre de façon autonome et libre. Il faut que les établissements soient plus ouverts, que l'on permette d'y accueillir des personnes de l'extérieur et qu'elles puissent y dormir. Que les personnes en situation de handicap vivant chez elles bénéficient d'aides pour ne pas rester cloîtrées et puissent accéder à la vie en commun et aux rencontres ! Et, pour ceux qui n'ont pas "accès à leur propre corps", pourquoi des ergothérapeutes ne travailleraient pas à des sex-toys adaptés pour vivre des moments d'extase en toute autonomie ?
«La sexualité ne peut être entendue comme un besoin spécifique hors de l’idée d’un accès à l’éducation, à la prévention, à l’intimité et à la liberté.»
(1) Rémi Gendarme est aussi l'auteur de «Je n'accepterai aucune assistante sexuelle si lui faire l'amour ne la fait pas elle-même trembler de plaisir» (éditions Flblb).
Laetitia Rebord, 32 ans, atteinte d’une amyotrophie spinale : «J’ai peur de mourir sans avoir eu de relation»
«J’ai une maladie génétique évolutive qui me paralyse complètement. Découvrir son corps, c’est compliqué quand on ne peut pas se toucher sans l’aide de quelqu’un, même si je ressens tout. Et puis, j’ai été touchée par beaucoup de mains depuis ma naissance, celles d’infirmiers, d’aidants… Des gens qui m’ont vue nue. Aujourd’hui, j’essaie de m’incarner dans mon corps. A l’université, je traînais essentiellement avec des valides. Je suis souvent tombée amoureuse ; ce n’était pas réciproque. Les hommes ont vraiment du mal avec le handicap. J’ai une auxiliaire de vie 24 h /24 h, huit personnes se relaient. Je serai épanouie lorsque j’aurai trouvé quelqu’un qui m’aime.
«Bien sûr, dans mes fantasmes, je rencontre cette personne et la sexualité vient naturellement. Mais rien ne se passe et le temps presse. J'ai peur de mourir sans avoir connu les relations sexuelles. Voilà un an et demi, j'ai contacté des escort-boys, c'est arrivé deux fois. Les deux ont refusé. Je milite pour une forme de prostitution spécialisée avec plus d'humanité derrière qu'une «pipe à 20 euros» ! Je suis exigeante ! Il me faut un accompagnant sexuel à mon goût. La plupart de ceux que je connais ont un certain âge, voire l'âge de mon père… C'est sûr que ce métier nécessite une maturité sexuelle. Je fonde tous mes espoirs sur la formation de l'Appas (lire pages 3 et 4). Il y a beaucoup d'hommes formés, et des jeunes !
«M’attacher, c’est ce qui me fait le plus peur. Quand on est tellement en manque affectif comme moi… Si je suis claire dans ma tête, je peux sans doute faire en sorte de ne pas trop souffrir par la suite. C’est un risque que j’accepte. La société a tendance à vouloir surprotéger les personnes vulnérables. On m’a souvent demandé si je n’avais pas peur de tomber sur un pervers. Mais je ne vais pas m’interdire toute sexualité !
«Mes parents ne sont pas gênés à l’idée que je fasse appel à un accompagnant sexuel. Simplement, ma maman a du mal à imaginer une relation sans sentiment. Mais on en est toutes capables. Et puis, la prestation est tarifée, c’est une barrière. J’imagine une rencontre auparavant, pour connaître la personne, discuter de ce qu’on va faire. Toucher le corps d’un homme nu, c’est très important pour moi. Il y a des personnes qui se satisfont de massages érotiques. Je pense avoir besoin d’aller jusqu’au bout. L’accompagnement sexuel ne va pas guérir ma solitude. Ce sera un levier pour aller vers d’autres choses. Je me sentirai déjà plus femme.»
Julien, 27 ans, infirme moteur cérébral : «J’ai déjà pensé faire appel à des prostituées»
«Je vis en appartement individuel depuis septembre à Strasbourg. J’ai passé toute ma vie en institution, à partir de mes 4 ans, j’ai été interne dans des structures médico-sociales. J’ai eu plusieurs histoires d’amour avec des internes, handicapées elles aussi, souvent plus que moi. Nous étions assez pudiques, on se voyait dans les coins, derrière le mur de la cantine, dans le parc pour s’embrasser. Cela n’allait pas plus loin, car nous n’étions jamais à l’abri des regards. Plusieurs fois, on s’est fait surprendre par la surveillante. C’était très gênant. Des amis sont passés en conseil de discipline, ont été mis à pied trois jours parce que leur compagnon de chambre les a surpris en pleine fellation. La seule solution, c’est de tomber sur un pion sympa. Je n’en ai rencontré qu’un seul. Il enfermait les couples dans la salle de classe, seuls. Pour ne pas se faire prendre, les gens vont dans les toilettes, les salles de bains. Il y a même eu des histoires de cul entre une pionne et des élèves. Tout le monde y trouvait son compte. Ça s’est su… Elle a été exclue.
«J’ai rencontré une fille juste avant qu’elle ne retourne vivre chez ses parents, à la campagne, où la voiture est indispensable. J’ai été obligé de mettre mes parents dans la confidence. Ils ont accepté de m’emmener voir une pièce de théâtre à laquelle elle devait assister avec son père. Les retrouvailles ont dû se faire en public, devant tout le monde… Ce jour-là, ses parents ont compris que notre relation était sérieuse. Le week-end, sa mère la déposait chez la mienne pour l’après-midi. Ma mère restait toujours, au cas où nous aurions besoin de quelque chose.
«Je n’ai jamais été avec une femme valide. J’ai trop peur de leur faire subir mon handicap. Je n’ai pas envie que ma femme m’habille, me déshabille, qu’elle finisse par me voir comme quelqu’un d’inférieur. Faire appel à des prostituées, j’y ai déjà pensé. Ma mère m’a dit que si ça devait se faire, ce serait mieux à la maison, qu’elle partirait et que je n’aurais qu’à l’appeler sur son portable quand ce serait fini.
«Ce n’est que récemment que j’ai pu faire l’amour jusqu’à la pénétration. Ma copine, elle aussi en fauteuil, m’a aidé à me déshabiller et me rhabiller. Un accompagnement sexuel nous permettrait de vivre pleinement notre sexualité. Ce pourrait être une solution mais c’est tellement intime ! Pour l’instant, on se contente de ce qu’on arrive à faire.»
Sabine, 50 ans, assistante sexuelle : «Je me mets à disposition de la personne»
«Depuis le mois dernier, je suis assistante sexuelle certifiée et des institutions font appel à moi pour réaliser des accompagnements sensuels. Au cours des deux dernières années, j’ai suivi une formation organisée par l’association Corps solidaires, en Suisse, pays où l’assistance sexuelle est légale. Les cours théoriques et pratiques étaient dispensés par des experts du handicap, des psychologues… Pour intégrer la formation, j’ai été sélectionnée : les participants devaient avoir plus de 30 ans et exercer une activité pour ne pas vivre de l’assistance sexuelle.
«Devenir assistante sexuelle est l’aboutissement d’un cheminement. J’ai été éducatrice spécialisée et j’ai été mariée pendant plusieurs années à une personne handicapée moteur. Pour moi, c’est tellement évident ! Comment ne pas être interpellée par ces personnes pour qui tout plaisir, tout désir est impossible ? Bien sûr, il faut être au clair avec sa vie sexuelle. C’est une forme de don de soi et tout le monde n’a pas la maturité pour. Mais un accompagnement est avant tout une rencontre entre un assistant et un bénéficiaire. Ma première assistance a été magnifique. Se donner et recevoir dans le plus grand respect est très fort. Au préalable, nous déterminons les besoins, les envies de la personne handicapée. Pour certains, il s’agit d’apprendre à connaître ce corps, leur montrer qu’il n’est pas que l’objet de soins mais qu’il peut être touché, caressé. Dans ce processus, l’assistant est libre de fixer ses limites.
«Moi, par exemple, je n’embrasse pas et je n’accepte pas encore la pénétration. Je me mets à la disposition de la personne pour un moment de bien-être, de douceur, de plaisir. Je suis rémunérée entre 100 et 130 euros de l’heure. L’argent permet de ne pas avoir d’investissement affectif. Je suis en contact régulier avec les autres assistants de ma formation, c’est important de pouvoir échanger entre nous sur ce que nous vivons, et c’est un moyen aussi de nous superviser, de nous encadrer pour prévenir toute dérive.»